Métrique en Ligne
HUG_1/HUG489
Victor HUGO
LES CONTEMPLATIONS
tome I
AUTREFOIS
1830-1843
LIVRE TROISIÈME
LES LUTTES ET LES RÊVES
XXX
Magnitudo parvi
I
Le jour mourait ; j'étais près des mers, sur la grève. 12
Je tenais par la main ma fille, enfant qui rêve, 12
Jeune esprit qui se tait ! 6
La terre, s'inclinant comme un vaisseau qui sombre, 12
5 En tournant dans l'espace allait plongeant dans l'ombre ; 12
La pâle nuit montait. 6
La pâle nuit levait son front dans les nuées ; 12
Les choses s'effaçaient, blêmes, diminuées, 12
Sans forme et sans couleur ; 6
10 Quand il monte de l'ombre, il tombe de la cendre ; 12
On sentait à la fois la tristesse descendre 12
Et monter la douleur. 6
Ceux dont les yeux pensifs contemplent la nature 12
Voyaient l'urne d'en haut, vague rondeur obscure, 12
15 Se pencher dans les cieux, 6
Et verser sur les monts, sur les campagnes blondes, 12
Et sur les flots confus pleins de rumeurs profondes, 12
Le soir silencieux ! 6
Les nuages rampaient le long des promontoires ; 12
20 Mon âme, où se mêlaient ces ombres et ces gloires, 12
Sentait confusément 6
De tout cet océan, de toute cette terre, 12
Sortir sous l'œil de Dieu je ne sais quoi d'austère, 12
D'auguste et de charmant ! 6
25 J'avais à mes côtés ma fille bien-aimée. 12
La nuit se répandait ainsi qu'une fumée. 12
Rêveur, ô Jéhovah, 6
Je regardais en moi, les paupières baissées, 12
Cette ombre qui se fait aussi dans nos pensées 12
30 Quand ton soleil s'en va ! 6
Soudain l'enfant bénie, ange au regard de femme, 12
Dont je tenais la main et qui tenait mon âme, 12
Me parla, douce voix ! 6
Et, me montrant l'eau sombre et la rive âpre et brune, 12
35 Et deux points lumineux qui tremblaient sur la dune : 12
— Père, dit-elle, vois, 6
Vois donc, là-bas, où l'ombre aux flancs des coteaux rampe, 12
Ces feux jumeaux briller comme une double lampe 12
Qui remuerait au vent ! 6
40 Quels sont ces deux foyers qu'au loin la brume voile ? 12
— L'un est un feu de pâtre et l'autre est une étoile ; 12
Deux mondes, mon enfant ! 6
II
*
Deux mondes ! — l'un est dans l'espace, 8
Dans les ténèbres de l'azur, 8
45 Dans l'étendue où tout s'efface, 8
Radieux gouffre ! abîme obscur ! 8
Enfant, comme deux hirondelles, 8
Oh ! si tous deux, âmes fidèles, 8
Nous pouvions fuir à tire-d'ailes, 8
50 Et plonger dans cette épaisseur 8
D'où la création découle, 8
Où flotte, vit, meurt, brille et roule 8
L'astre imperceptible à la foule, 8
Incommensurable au penseur ; 8
55 Si nous pouvions franchir ces solitudes mornes, 12
Si nous pouvions passer les bleus septentrions, 12
Si nous pouvions atteindre au fond des cieux sans bornes 12
Jusqu'à ce qu'à la fin, éperdus, nous voyions, 12
Comme un navire en mer croît, monte, et semble éclore, 12
60 Cette petite étoile, atome de phosphore, 12
Devenir par degrés un monstre de rayons ; 12
S'il nous était donné de faire 8
Ce voyage démesuré, 8
Et de voler, de sphère en sphère, 8
65 A ce grand soleil ignoré ; 8
Si, par un archange qui l'aime, 8
L'homme aveugle, frémissant, blême, 8
Dans les profondeurs du problème, 8
Vivant, pouvait être introduit ; 8
70 Si nous pouvions fuir notre centre, 8
Et, forçant l'ombre où Dieu seul entre, 8
Aller voir de près dans leur antre 8
Ces énormités de la nuit ; 8
Ce qui t'apparaîtrait te ferait trembler, ange ! 12
75 Rien, pas de vision, pas de songe insensé, 12
Qui ne fût dépassé par ce spectacle étrange, 12
Monde informe, et d'un tel mystère composé, 12
Que son rayon fondrait nos chairs, cire vivante, 12
Et qu'il ne resterait de nous dans l'épouvante 12
80 Qu'un regard ébloui sous un front hérissé ! 12
*
O contemplation splendide ! 8
Oh ! de pôles, d'axes, de feux, 8
De la matière et du fluide, 8
Balancement prodigieux ! 8
85 D'aimant qui lutte, d'air qui vibre, 8
De force esclave et d'éther libre, 8
Vaste et magnifique équilibre ! 8
Monde rêve ! idéal réel ! 8
Lueurs ! tonnerres ! jets de soufre ! 8
90 Mystère qui chante et qui souffre ! 8
Formule nouvelle du gouffre ! 8
Mot nouveau du noir livre ciel ! 8
Tu verrais ! — un soleil ; autour de lui des mondes, 12
Centres eux-même, ayant des lunes autour d'eux ; 12
95 Là, des fourmillements de sphères vagabondes ; 12
Là, des globes jumeaux qui tournent deux à deux ; 12
Au milieu, cette étoile, effrayante, agrandie ; 12
D'un coin de l'infini formidable incendie, 12
Rayonnement sublime ou flamboiement hideux ! 12
100 Regardons, puisque nous y sommes ! 8
Figure-toi ! figure-toi ! 8
Plus rien des choses que tu nommes ! 8
Un autre monde ! une autre loi ! 8
La terre a fui dans l'étendue ; 8
105 Derrière nous elle est perdue ! 8
Jour nouveau ! nuit inattendue ! 8
D'autres groupes d'astres au ciel ! 8
Une nature qu'on ignore, 8
Qui, s'ils voyaient sa fauve aurore, 8
110 Ferait accourir Pythagore 8
Et reculer Ézéchiel ! 8
Ce qu'on prend pour un mont est une hydre ; ces arbres 12
Sont des bêtes ; ces rocs hurlent avec fureur ; 12
Le feu chante ; le sang coule aux veines des marbres. 12
115 Ce monde est-il le vrai ? le nôtre est-il l'erreur ? 12
O possibles qui sont pour nous les impossibles ! 12
Réverbérations des chimères visibles ! 12
Le baiser de la vie ici nous fait horreur. 12
Et, si nous pouvions voir les hommes, 8
120 Les ébauches, les embryons, 8
Qui sont là ce qu'ailleurs nous sommes, 8
Comme, eux et nous, nous frémirions ! 8
Rencontre inexprimable et sombre ! 8
Nous nous regarderions dans l'ombre 8
125 De monstre à monstre, fils du nombre 8
Et du temps qui s'évanouit ; 8
Et, si nos langages funèbres 8
Pouvaient échanger leurs algèbres, 8
Nous dirions : « Qu'êtes-vous, ténèbres ? » 8
130 Ils diraient : « D'où venez-vous, nuit ? » 8
*
Sont-ils aussi des cœurs, des cerveaux, des entrailles ? 12
Cherchent-ils comme nous le mot jamais trouvé ? 12
Ont-ils des Spinosa qui frappent aux murailles, 12
Des Lucrèce niant tout ce qu'on a rêvé, 12
135 Qui, du noir infini feuilletant les registres, 12
Ont écrit : Rien, au bas de ses pages sinistres ; 12
Et, penchés sur l'abîme, ont dit : « L'œil est crevé ! » 12
Tous ces êtres, comme nous-même, 8
S'en vont en pâles tourbillons ; 8
140 La création mêle et sème 8
Leur cendre à de nouveaux sillons ; 8
Un vient, un autre le remplace, 8
Et passe sans laisser de trace ; 8
Le souffle les crée et les chasse ; 8
145 Le gouffre en proie aux quatre vents, 8
Comme la mer aux vastes lames, 8
Mêle éternellement ses flammes 8
À ce sombre écroulement d'âmes, 8
De fantômes et de vivants ! 8
150 L'abîme semble fou sous l'ouragan de l'être. 12
Quelle tempête autour de l'astre radieux ! 12
Tout ne doit que surgir, flotter et disparaître, 12
Jusqu'à ce que la nuit ferme à son tour ses yeux ; 12
Car, un jour, il faudra que l'étoile aussi tombe ; 12
155 L'étoile voit neiger les âmes dans la tombe, 12
L'âme verra neiger les astres dans les cieux ! 12
*
Par instants, dans le vague espace, 8
Regarde, enfant ! tu vas la voir ! 8
Une brusque planète passe ; 8
160 C'est d'abord au loin un point noir ; 8
Plus prompte que la trombe folle, 8
Elle vient, court, approche, vole ; 8
À peine a lui son auréole, 8
Que déjà, remplissant le ciel, 8
165 Sa rondeur farouche commence 8
À cacher le gouffre en démence, 8
Et semble ton couvercle immense, 8
O puits du vertige éternel ! 8
C'est elle ! éclair ! voilà sa livide surface 12
170 Avec tous les frissons de ses océans verts ! 12
Elle apparaît, s'en va, décroît, pâlit, s'efface, 12
Et rentre, atome obscur, aux cieux d'ombre couverts, 12
Et tout s'évanouit, vaste aspect, bruit sublime… — 12
Quel est ce projectile inouï de l'abîme ? 12
175 O boulets monstrueux qui sont des univers ! 12
Dans un éloignement nocturne, 8
Roule avec un râle effrayant 8
Quelque épouvantable Saturne 8
Tournant son anneau flamboyant ; 8
180 La braise en pleut comme d'un crible ; 8
Jean de Patmos, l'esprit terrible, 8
Vit en songe cet astre horrible 8
Et tomba presque évanoui ; 8
Car, rêvant sa noire épopée, 8
185 Il crut, d'éclairs enveloppée, 8
Voir fuir une roue, échappée 8
Au sombre char d'Adonaï ! 8
Et, par instants encor, — tout va-t-il se dissoudre ? — 12
Parmi ces mondes, fauve, accourant à grand bruit, 12
190 Une comète aux crins de flamme, aux yeux de foudre, 12
Surgit, et les regarde, et, blême, approche et luit ; 12
Puis s'évade en hurlant, pâle et surnaturelle, 12
Traînant sa chevelure éparse derrière elle, 12
Comme une Canidie affreuse qui s'enfuit. 12
195 Quelques-uns de ces globes meurent ; 8
Dans le semoun et le mistral 8
Leurs mers sanglotent, leurs flots pleurent ; 8
Leur flanc crache un brasier central. 8
Sphères par la neige engourdies, 8
200 Ils ont d'étranges maladies, 8
Pestes, déluges, incendies, 8
Tremblements profonds et fréquents ; 8
Leur propre abîme les consume ; 8
Leur haleine flamboie et fume ; 8
205 On entend de loin dans leur brume 8
La toux lugubre des volcans. 8
*
Ils sont ! ils vont ! ceux-ci brillants, ceux-là difformes, 12
Tous portant des vivants et des créations ! 12
Ils jettent dans l'azur des cônes d'ombre énormes, 12
210 Ténèbres qui des cieux traversent les rayons, 12
Où le regard, ainsi que des flambeaux farouches 12
L'un après l'autre éteints par d'invisibles bouches, 12
Voit plonger tour à tour les constellations ! 12
Quel Zorobabel formidable, 8
215 Quel Dédale vertigineux, 8
Cieux ! a bâti dans l'insondable 8
Tout ce noir chaos lumineux ? 8
Soleils, astres aux larges queues, 8
Gouffres ! ô millions de lieues ! 8
220 Sombres architectures bleues ! 8
Quel bras a fait, créé, produit 8
Ces tours d'or que nuls yeux ne comptent, 8
Ces firmaments qui se confrontent, 8
Ces Babels d'étoiles qui montent 8
225 Dans ces Babylones de nuit ? 8
Qui, dans l'ombre vivante et l'aube sépulcrale, 12
Qui, dans l'horreur fatale et dans l'amour profond, 12
A tordu ta splendide et sinistre spirale, 12
Ciel, où les univers se font et se défont ? 12
230 Un double précipice à la fois les réclame. 12
« Immensité ! » dit l'être. « Éternité ! » dit l'âme. 12
À jamais ! le sans fin roule dans le sans fond. 12
*
L'Inconnu, celui dont maint sage 8
Dans la brume obscure a douté, 8
235 L'immobile et muet visage, 8
Le voilé de l'éternité, 8
A, pour montrer son ombre au crime, 8
Sa flamme au juste magnanime, 8
Jeté pêle-mêle à l'abîme 8
240 Tous ses masques, noirs ou vermeils ; 8
Dans les éthers inaccessibles, 8
Ils flottent, cachés ou visibles ; 8
Et ce sont ces masques terribles 8
Que nous appelons les soleils ! 8
245 Et les peuples ont vu passer dans les ténèbres 12
Ces spectres de la nuit que nul ne pénétra ; 12
Et flamines, santons, brahmanes, mages, guèbres, 12
Ont crié : Jupiter ! Allah ! Vishnou ! Mithra ! 12
Un jour, dans les lieux bas, sur les hauteurs suprêmes, 12
250 Tous ces masques hagards s'effaceront d'eux-mêmes ; 12
Alors, la face immense et calme apparaîtra ! 12
III
*
Enfant ! l'autre de ces deux mondes, 8
C'est le cœur d'un homme ! — parfois, 8
Comme une perle au fond des ondes, 8
255 Dieu cache une âme au fond des bois. 8
Dieu cache un homme sous les chênes ; 8
Et le sacre en d'austères lieux 8
Avec le silence des plaines, 8
L'ombre des monts, l'azur des cieux ! 8
260 O ma fille ! avec son mystère 8
Le soir envahit pas à pas 8
L'esprit d'un prêtre involontaire, 8
Près de ce feu qui luit là-bas ! 8
Cet homme, dans quelque ruine, 8
265 Avec la ronce et le lézard, 8
Vit sous la brume et la bruine, 8
Fruit tombé de l'arbre hasard ! 8
Il est devenu presque fauve ; 8
Son bâton est son seul appui. 8
270 En le voyant, l'homme se sauve ; 8
La bête seule vient à lui. 8
Il est l'être crépusculaire. 8
On a peur de l'apercevoir ; 8
Pâtre tant que le jour l'éclaire, 8
275 Fantôme dès que vient le soir. 8
La faneuse dans la clairière 8
Le voit quand il fait, par moment, 8
Comme une ombre hors de sa bière, 8
Un pas hors de l'isolement. 8
280 Son vêtement dans ces décombres, 8
C'est un sac de cendre et de deuil, 8
Linceul troué par les clous sombres 8
De la misère, ce cercueil. 8
Le pommier lui jette ses pommes ; 8
285 Il vit dans l'ombre enseveli ; 8
C'est un pauvre homme loin des hommes, 8
C'est un habitant de l'oubli ; 8
C'est un indigent sous la bure, 8
Un vieux front de la pauvreté, 8
290 Un haillon dans une masure, 8
Un esprit dans l'immensité ! 8
*
Dans la nature transparente, 8
C'est l'œil des regards ingénus, 8
Un penseur à l'âme ignorante, 8
295 Un grave marcheur aux pieds nus ! 8
Oui, c'est un cœur, une prunelle, 8
C'est un souffrant, c'est un songeur, 8
Sur qui la lueur éternelle 8
Fait trembler sa vague rougeur. 8
300 Il est là, l'âme aux cieux ravie, 8
Et, près d'un branchage enflammé, 8
Pense, lui-même par la vie 8
Tison à demi consumé. 8
Il est calme en cette ombre épaisse ; 8
305 Il aura bien toujours un peu 8
D'herbe pour que son bétail paisse, 8
De bois pour attiser son feu. 8
Nos luttes, nos chocs, nos désastres, 8
Il les ignore ; il ne veut rien 8
310 Que, la nuit, le regard des astres, 8
Le jour, le regard de son chien. 8
Son troupeau gît sur l'herbe unie ; 8
Il est là, lui, pasteur, ami, 8
Seul éveillé, comme un génie 8
315 À côté d'un peuple endormi. 8
Ses brebis, d'un rien remuées, 8
Ouvrant l'œil près du feu qui luit, 8
Aperçoivent sous les nuées 8
Sa forme droite dans la nuit ; 8
320 Et, bouc qui bêle, agneau qui danse, 8
Dorment dans les bois hasardeux 8
Sous ce grand spectre Providence 8
Qu'ils sentent debout auprès d'eux. 8
*
Le pâtre songe, solitaire, 8
325 Pauvre et nu, mangeant son pain bis ; 8
Il ne connaît rien de la terre 8
Que ce que broute la brebis. 8
Pourtant, il sait que l'homme souffre ; 8
Mais il sonde l'éther profond. 8
330 Toute solitude est un gouffre, 8
Toute solitude est un mont. 8
Dès qu'il est debout sur ce faîte, 8
Le ciel reprend cet étranger ; 8
La Judée avait le prophète, 8
335 La Chaldée avait le berger. 8
Ils tâtaient le ciel l'un et l'autre ; 8
Et, plus tard, sous le feu divin, 8
Du prophète naquit l'apôtre, 8
Du pâtre naquit le devin. 8
340 La foule raillait leur démence ; 8
Et l'homme dut, aux jours passés, 8
À ces ignorants la science, 8
La sagesse à ces insensés. 8
La nuit voyait, témoin austère, 8
345 Se rencontrer sur les hauteurs, 8
Face à face dans le mystère, 8
Les prophètes et les pasteurs. 8
— Où marchez-vous, tremblants prophètes ? 8
— Où courez-vous, pâtres troublés ? 8
350 Ainsi parlaient ces sombres têtes, 8
Et l'ombre leur criait : Allez ! 8
Aujourd'hui, l'on ne sait plus même 8
Qui monta le plus de degrés 8
Des Zoroastres au front blême 8
355 Ou des Abrahams effarés. 8
Et, quand nos yeux, qui les admirent, 8
Veulent mesurer leur chemin, 8
Et savoir quels sont ceux qui mirent 8
Le plus de jour dans l'œil humain, 8
360 Du noir passé perçant les voiles, 8
Notre esprit flotte sans repos 8
Entre tous ces compteurs d'étoiles 8
Et tous ces compteurs de troupeaux. 8
*
Dans nos temps, où l'aube enfin dore 8
365 Les bords du terrestre ravin, 8
Le rêve humain s'approche encore 8
Plus près de l'idéal divin. 8
L'homme que la brume enveloppe, 8
Dans le ciel que Jésus ouvrit, 8
370 Comme à travers un télescope 8
Regarde à travers son esprit. 8
L'âme humaine, après le Calvaire, 8
À plus d'ampleur et de rayon ; 8
Le grossissement de ce verre 8
375 Grandit encor la vision. 8
La solitude vénérable 8
Mène aujourd'hui l'homme sacré 8
Plus avant dans l'impénétrable, 8
Plus loin dans le démesuré. 8
380 Oui, si dans l'homme, que le nombre 8
Et le temps trompent tour à tour, 8
La foule dégorge de l'ombre, 8
La solitude fait le jour. 8
Le désert au ciel nous convie. 8
385 O seuil de l'azur ! l'homme seul, 8
Vivant qui voit hors de la vie, 8
Lève d'avance son linceul. 8
Il parle aux voix que Dieu fit taire, 8
Mêlant sur son front pastoral 8
390 Aux lueurs troubles de la terre 8
Le serein rayon sépulcral. 8
Dans le désert, l'esprit qui pense 8
Subit par degrés sous les cieux 8
La dilatation immense 8
395 De l'infini mystérieux. 8
Il plonge au fond. Calme, il savoure 8
Le réel, le vrai, l'élément. 8
Toute la grandeur qui l'entoure 8
Le pénètre confusément. 8
400 Sans qu'il s'en doute, il va, se dompte, 8
Marche, et, grandissant en raison, 8
Croît comme l'herbe aux champs, et monte 8
Comme l'aurore à l'horizon. 8
Il voit, il adore, il s'effare ; 8
405 Il entend le clairon du ciel, 8
Et l'universelle fanfare 8
Dans le silence universel. 8
Avec ses fleurs au pur calice, 8
Avec sa mer pleine de deuil, 8
410 Qui donne un baiser de complice 8
À l'âpre bouche de l'écueil, 8
Avec sa plaine, vaste bible, 8
Son mont noir, son brouillard fuyant, 8
Regards du visage invisible, 8
415 Syllabes du mot flamboyant ; 8
Avec sa paix, avec son trouble, 8
Son bois voilé, son rocher nu, 8
Avec son écho qui redouble 8
Toutes les voix de l'inconnu, 8
420 La solitude éclaire, enflamme, 8
Attire l'homme aux grands aimants, 8
Et lentement compose une âme 8
De tous les éblouissements ! 8
L'homme en son sein palpite et vibre, 8
425 Ouvrant son aile, ouvrant ses yeux, 8
Étrange oiseau d'autant plus libre 8
Que le mystère le tient mieux. 8
Il sent croître en lui, d'heure en heure, 8
L'humble foi, l'amour recueilli, 8
430 Et la mémoire antérieure 8
Qui le remplit d'un vaste oubli. 8
Il a des soifs inassouvies ; 8
Dans son passé vertigineux, 8
Il sent revivre d'autres vies ; 8
435 De son âme il compte les nœuds. 8
Il cherche au fond des sombres dômes 8
Sous quelles formes il a lui ; 8
Il entend ses propres fantômes 8
Qui lui parlent derrière lui. 8
440 Il sent que l'humaine aventure 8
N'est rien qu'une apparition ; 8
Il se dit : — Chaque créature 8
Est toute la création. 8
Il se dit : — Mourir, c'est connaître ; 8
445 Nous cherchons l'issue à tâtons. 8
J'étais, je suis, et je dois être. 8
L'ombre est une échelle. Montons. — 8
Il se dit : — Le vrai, c'est le centre. 8
Le reste est apparence ou bruit. 8
450 Cherchons le lion, et non l'antre ; 8
Allons où l'œil fixe reluit. — 8
Il sent plus que l'homme en lui naître ; 8
Il sent, jusque dans ses sommeils, 8
Lueur à lueur, dans son être, 8
455 L'infiltration des soleils. 8
Ils cessent d'être son problème ; 8
Un astre est un voile. Il veut mieux ; 8
Il reçoit de leur rayon même 8
Le regard qui va plus loin qu'eux. 8
*
460 Pendant que, nous, hommes des villes, 8
Nous croyons prendre un vaste essor 8
Lorsqu'entre en nos prunelles viles 8
Le spectre d'une étoile d'or ; 8
Que, savants dont la vue est basse, 8
465 Nous nous ruons et nous brûlons 8
Dans le premier astre qui passe, 8
Comme aux lampes les papillons, 8
Et qu'oubliant le nécessaire, 8
Nous contentant de l'incomplet, 8
470 Croyant éclairés, ô misère ! 8
Ceux qu'éclaire le feu follet, 8
Prenant pour l'être et pour l'essence 8
Les fantômes du ciel profond, 8
Voulant nous faire une science 8
475 Avec des formes qui s'en vont, 8
Ne comprenant, pour nous distraire 8
De la terre, où l'homme est damné, 8
Qu'un autre monde, sombre frère 8
De notre globe infortuné, 8
480 Comme l'oiseau né dans la cage, 8
Qui, s'il fuit, n'a qu'un vol étroit, 8
Ne sait pas trouver le bocage, 8
Et va d'un toit à l'autre toit ; 8
Chercheurs que le néant captive, 8
485 Qui, dans l'ombre, avons en passant 8
La curiosité chétive 8
Du ciron pour le ver luisant, 8
Poussière admirant la poussière, 8
Nous poursuivons obstinément, 8
490 Grains de cendre, un grain de lumière 8
En fuite dans le firmament ! 8
Pendant que notre âme humble et lasse 8
S'arrête au seuil du ciel béni, 8
Et va becqueter dans l'espace 8
495 Une miette de l'infini, 8
Lui, ce berger, ce passant frêle, 8
Ce pauvre gardeur de bétail 8
Que la cathédrale éternelle 8
Abrite sous son noir portail, 8
500 Cet homme qui ne sait pas lire, 8
Cet hôte des arbres mouvants, 8
Qui ne connaît pas d'autre lyre 8
Que les grands bois et les grands vents, 8
Lui, dont l'âme semble étouffée, 8
505 Il s'envole, et, touchant le but, 8
Boit avec la coupe d'Orphée 8
À la source où Moïse but ! 8
Lui, ce pâtre, en sa Thébaïde, 8
Cet ignorant, cet indigent, 8
510 Sans docteur, sans maître, sans guide, 8
Fouillant, scrutant, interrogeant 8
De sa roche où la paix séjourne, 8
Les cieux noirs, les bleus horizons, 8
Double ornière où sans cesse tourne 8
515 La roue énorme des saisons ; 8
Seul, quand mai vide sa corbeille, 8
Quand octobre emplit son panier ; 8
Seul, quand l'hiver à notre oreille 8
Vient siffler, gronder, et nier ; 8
520 Quand sur notre terre, où se joue 8
Le blanc flocon flottant sans bruit, 8
La mort, spectre vierge, secoue, 8
Ses ailes pâles dans la nuit ; 8
Quand, nous glaçant jusqu'aux vertèbres, 8
525 Nous jetant la neige en rêvant, 8
Ce sombre cygne des ténèbres 8
Laisse tomber sa plume au vent ; 8
Quand la mer tourmente la barque ; 8
Quand la plaine est là, ressemblant 8
530 À la morte dont un drap marque 8
L'obscur profil sinistre et blanc ; 8
Seul sur cet âpre monticule, 8
À l'heure où, sous le ciel dormant, 8
Les méduses du crépuscule 8
535 Montrent leur face vaguement ; 8
Seul la nuit, quand dorment ses chèvres, 8
Quand la terre et l'immensité 8
Se referment comme deux lèvres 8
Après que le psaume est chanté ; 8
540 Seul, quand renaît le jour sonore, 8
À l'heure où sur le mont lointain 8
Flamboie et frissonne l'aurore, 8
Crête rouge du coq matin ; 8
Seul, toujours seul, l'été, l'automne ; 8
545 Front sans remords et sans effroi 8
À qui le nuage qui tonne 8
Dit tout bas : Ce n'est pas pour toi ! 8
Oubliant dans ces grandes choses 8
Les trous de ses pauvres habits, 8
550 Comparant la douceur des roses 8
À la douceur de la brebis, 8
Sondant l'être, la loi fatale ; 8
L'amour, la mort, la fleur, le fruit ; 8
Voyant l'auréole idéale 8
555 Sortir de toute cette nuit, 8
Il sent, faisant passer le monde 8
Par sa pensée à chaque instant, 8
Dans cette obscurité profonde 8
Son œil devenir éclatant ; 8
560 Et, dépassant la créature, 8
Montant toujours, toujours accru, 8
Il regarde tant la nature, 8
Que la nature a disparu ! 8
Car, des effets allant aux causes, 8
565 L'œil perce et franchit le miroir, 8
Enfant ; et contempler les choses, 8
C'est finir par ne plus les voir. 8
La matière tombe détruite 8
Devant l'esprit aux yeux de lynx ; 8
570 Voir, c'est rejeter ; la poursuite 8
De l'énigme est l'oubli du sphynx. 8
Il ne voit plus le ver qui rampe, 8
La feuille morte émue au vent, 8
Le pré, la source où l'oiseau trempe 8
575 Son petit pied rose en buvant ; 8
Ni l'araignée, hydre étoilée, 8
Au centre du mal se tenant, 8
Ni l'abeille, lumière ailée, 8
Ni la fleur, parfum rayonnant ; 8
580 Ni l'arbre où sur l'écorce dure 8
L'amant grave un chiffre d'un jour, 8
Que les ans font croître à mesure 8
Qu'ils font décroître son amour. 8
Il ne voit plus la vigne mûre, 8
585 La ville, large toit fumant, 8
Ni la campagne, ce murmure, 8
Ni la mer, ce rugissement ; 8
Ni l'aube dorant les prairies, 8
Ni le couchant aux longs rayons, 8
590 Ni tous ces tas de pierreries 8
Qu'on nomme constellations, 8
Que l'éther de son ombre couvre, 8
Et qu'entrevoit notre œil terni 8
Quand la nuit curieuse entr'ouvre 8
595 Le sombre écrin de l'infini ; 8
Il ne voit plus Saturne pâle, 8
Mars écarlate, Arcturus bleu, 8
Sirius, couronne d'opale, 8
Aldebaran, turban de feu ; 8
600 Ni les mondes, esquifs sans voiles, 8
Ni, dans le grand ciel sans milieu, 8
Toute cette cendre d'étoiles ; 8
Il voit l'astre unique ; il voit Dieu ! 8
*
Il le regarde, il le contemple ; 8
605 Vision que rien n'interrompt ! 8
Il devient tombe, il devient temple, 8
Le mystère flambe à son front. 8
Œil serein dans l'ombre ondoyante, 8
Il a conquis, il a compris, 8
610 Il aime ; il est l'âme voyante 8
Parmi nos ténébreux esprits. 8
Il marche, heureux et plein d'aurore, 8
De plain-pied avec l'élément ; 8
Il croit, il accepte. Il ignore 8
615 Le doute, notre escarpement ; 8
Le doute, qu'entourent les vides, 8
Bord que nul ne peut enjamber, 8
Où nous nous arrêtons stupides, 8
Disant : Avancer, c'est tomber ! 8
620 Le doute, roche où nos pensées 8
Errent loin du pré qui fleurit, 8
Où vont et viennent, dispersées, 8
Toutes ces chèvres de l'esprit ! 8
Quand Hobbes dit : « Quelle est la base ? » 8
625 Quand Locke dit : « Quelle est la loi ? » 8
Que font à sa splendide extase 8
Ces dialogues de l'effroi ? 8
Qu'importe à cet anachorète 8
De la caverne Vérité, 8
630 L'homme qui dans l'homme s'arrête, 8
La nuit qui croit à sa clarté ? 8
Que lui fait la philosophie, 8
Calcul, algèbre, orgueil puni, 8
Que sur les cimes pétrifie 8
635 L'effarement de l'infini ! 8
Lueurs que couvre la fumée ! 8
Sciences disant : Que sait-on ? 8
Qui, de l'aveugle Ptolémée, 8
Montent au myope Newton ! 8
640 Que lui font les choses bornées, 8
Grands, petits, couronnes, carcans ? 8
L'ombre qui sort des cheminées 8
Vaut l'ombre qui sort des volcans. 8
Que lui font la larve et la cendre, 8
645 Et, dans les tourbillons mouvants, 8
Toutes les formes que peut prendre 8
L'obscur nuage des vivants ? 8
Que lui fait l'assurance triste 8
Des créatures dans leurs nuits ? 8
650 La terre s'écriant : J'existe ! 8
Le soleil répliquant : Je suis ! 8
Quand le spectre, dans le mystère, 8
S'affirme à l'apparition, 8
Qu'importe à cet œil solitaire 8
655 Qui s'éblouit du seul rayon ? 8
Que lui fait l'astre, autel et prêtre 8
De sa propre religion, 8
Qui dit : Rien hors de moi ! — quand l'être 8
Se nomme Gouffre et Légion ! 8
660 Que lui font, sur son sacré faîte, 8
Les démentis audacieux 8
Que donne aux soleils la comète, 8
Cette hérésiarque des cieux ? 8
Que lui fait le temps, cette brume ? 8
665 L'espace, cette illusion ? 8
Que lui fait l'éternelle écume 8
De l'océan Création ? 8
Il boit, hors de l'inabordable, 8
Du surhumain, du sidéral, 8
670 Les délices du formidable, 8
L'âpre ivresse de l'idéal ; 8
Son être, dont rien ne surnage, 8
S'engloutit dans le gouffre bleu ; 8
Il fait ce sublime naufrage ; 8
675 Et, murmurant sans cesse : — Dieu, — 8
Parmi les feuillages farouches, 8
Il songe, l'âme et l'œil là-haut, 8
À l'imbécillité des bouches 8
Qui prononcent un autre mot ! 8
*
680 Il le voit, ce soleil unique, 8
Fécondant, travaillant, créant, 8
Par le rayon qu'il communique 8
Égalant l'atome au géant, 8
Semant de feux, de souffles, d'ondes, 8
685 Les tourbillons d'obscurité, 8
Emplissant d'étincelles mondes 8
L'épouvantable immensité ; 8
Remuant, dans l'ombre et les brumes, 8
De sombres forces dans les cieux 8
690 Qui font comme des bruits d'enclumes 8
Sous des marteaux mystérieux, 8
Doux pour le nid du rouge-gorge, 8
Terrible aux satans qu'il détruit ; 8
Et, comme aux lueurs d'une forge, 8
695 Un mur s'éclaire dans la nuit, 8
On distingue en l'ombre où nous sommes, 8
On reconnaît dans ce bas lieu, 8
À sa clarté parmi les hommes, 8
L'âme qui réverbère Dieu ! 8
700 Et ce pâtre devient auguste ; 8
Jusqu'à l'auréole monté, 8
Étant le sage, il est le juste ; 8
O ma fille, cette clarté 8
Sœur du grand flambeau des génies, 8
705 Faite de tous les rayons purs 8
Et de toutes les harmonies 8
Qui flottent dans tous les azurs, 8
Plus belle dans une chaumière, 8
Éclairant hier par demain, 8
710 Cette éblouissante lumière, 8
Cette blancheur du cœur humain 8
S'appelle en ce monde, où l'honnête 8
Et le vrai des vents est battu, 8
Innocence avant la tempête, 8
715 Après la tempête vertu ! 8
*
Voilà donc ce que fait la solitude à l'homme ; 12
Elle lui montre Dieu, le dévoile et le nomme ; 12
Sacre l'obscurité, 6
Pénètre de splendeur le pâtre qui s'y plonge, 12
720 Et, dans les profondeurs de son immense songe. 12
T'allume, ô vérité ! 6
Elle emplit l'ignorant de la science énorme ; 12
Ce que le cèdre voit, ce que devine l'orme, 12
Ce que le chêne sent, 6
725 Dieu, l'être, l'infini, l'éternité, l'abîme, 12
Dans l'ombre elle le mêle à la candeur sublime 12
D'un pâtre frémissant. 6
L'homme n'est qu'une lampe, elle en fait une étoile. 12
Et ce pâtre devient, sous son haillon de toile, 12
730 Un mage ; et, par moments, 6
Aux fleurs, parfums du temple, aux arbres, noirs pilastres, 12
Apparaît couronné d'une tiare d'astres, 12
Vêtu de flamboiements ! 6
Il ne se doute pas de cette grandeur sombre : 12
735 Assis près de son feu que la broussaille encombre, 12
Devant l'être béant, 6
Humble, il pense ; et, chétif, sans orgueil, sans envie, 12
Il se courbe, et sent mieux, près du gouffre de vie, 12
Son gouffre de néant. 6
740 Quand il sort de son rêve, il revoit la nature. 12
Il parle à la nuée, errant à l'aventure, 12
Dans l'azur émigrant ; 6
Il dit : « Que ton encens est chaste, ô clématite ! » 12
Il dit au doux oiseau : « Que ton aile est petite, 12
745 « Mais que ton vol est grand ! » 6
Le soir, quand il voit l'homme aller vers les villages, 12
Glaneuses, bûcherons qui traînent des feuillages, 12
Et les pauvres chevaux 6
Que le laboureur bat et fouette avec colère, 12
750 Sans songer que le vent va le rendre à son frère 12
Le marin sur les flots ; 6
Quand il voit les forçats passer, portant leur charge, 12
Les soldats, les pêcheurs pris par la nuit, au large, 12
Et hâtant leur retour, 6
755 Il leur envoie à tous, du haut du mont nocturne, 12
La bénédiction qu'il a puisée à l'urne 12
De l'insondable amour ! 6
Et, tandis qu'il est là, vivant sur sa colline, 12
Content, se prosternant dans tout ce qui s'incline, 12
760 Doux rêveur bienfaisant, 6
Emplissant le vallon, le champ, le toit de mousse, 12
Et l'herbe et le rocher de la majesté douce 12
De son cœur innocent, 6
S'il passe par hasard, près de sa paix féconde, 12
765 Un de ces grands esprits en butte aux flots du monde 12
Révolté devant eux, 6
Qui craignent à la fois, sur ces vagues funèbres, 12
La terre de granit et le ciel de ténèbres, 12
L'homme ingrat, Dieu douteux ; 6
770 Peut-être, à son insu, que ce pasteur paisible, 12
Et dont l'obscurité rend la lueur visible, 12
Homme heureux sans effort, 6
Entrevu par cette âme en proie au choc de l'onde, 12
Va lui jeter soudain quelque clarté profonde 12
775 Qui lui montre le port ! 6
Ainsi ce feu peut-être, aux flancs du rocher sombre, 12
Là-bas est aperçu par quelque nef qui sombre 12
Entre le ciel et l'eau ; 6
Humble, il la guide au loin de son reflet rougeâtre, 12
780 Et du même rayon dont il réchauffe un pâtre, 12
Il sauve un grand vaisseau ! 6
IV
Et je repris, montrant à l'enfant adorée 12
L'obscur feu du pasteur et l'étoile sacrée : 12
De ces deux feux, perçant le soir qui s'assombrit, 12
785 L'un révèle un soleil, l'autre annonce un esprit. 12
C'est l'infini que notre œil sonde ; 8
Mesurons tout à Dieu, qui seul crée et conçoit ! 12
C'est l'astre qui le prouve et l'esprit qui le voit ; 12
Une âme est plus grande qu'un monde. 8
790 Enfant, ce feu de pâtre à cette âme mêlé, 12
Et cet astre, splendeur du plafond constellé 12
Que l'éclair et la foudre gardent, 8
Ces deux phares du gouffre où l'être flotte et fuit, 12
Ces deux clartés du deuil, ces deux yeux de la nuit, 12
795 Dans l'immensité se regardent. 8
Ils se connaissent ; l'astre envoie au feu des bois 12
Toute l'énormité de l'abîme à la fois, 12
Les baisers de l'azur superbe, 8
Et l'éblouissement des visions d'Endor ; 12
800 Et le doux feu de pâtre envoie à l'astre d'or 12
Le frémissement du brin d'herbe. 8
Le feu de pâtre dit : — La mère pleure, hélas ! 12
L'enfant a froid, le père a faim, l'aïeul est las ; 12
Tout est noir ; la montée est rude ; 8
805 Le pas tremble, éclairé par un tremblant flambeau ; 12
L'homme au berceau chancelle et trébuche au tombeau. 12
L'étoile répond : — Certitude ! 8
De chacun d'eux s'envole un rayon fraternel, 12
L'un plein d'humanité, l'autre rempli de ciel ; 12
810 Dieu les prend, et joint leur lumière, 8
Et sa main, sous qui l'âme, aigle de flamme, éclôt, 12
Fait du rayon d'en bas et du rayon d'en haut 12
Les deux ailes de la prière. 8
logo du CRISCO logo de l'université