Métrique en Ligne
HRV_1/HRV9
Henriette HERVÉ
DILECTION
1925
SUIVANT L'HUMEUR DES JOURS
A MA JEUNESSE
Voici que les ombres du soir 8
Vont estomper votre visage 8
O ma jeunesse ! Il va falloir 8
Que bientôt ma main se dégage 8
5 De l'étreinte de votre main, 8
Et que je suive seule un ténébreux chemin. 12
Avant que la nuit nous sépare 8
Penchez-vous tout près de mon cœur ; 8
C'est l'instant, fugitif et rare, 8
10 Où vous surprendrez sa clameur ! 8
Après, sans adieu, tête basse, 8
Vous partirez, n'osant me regarder en face… 12
Écoutez… Écoutez mon cœur 8
« Que m'avez-vous donné, Jeunesse ! 8
15 A moi qui naissais plein d'ardeur 8
Et qui sursautais d'allégresse 8
Simplement pour battre plus fort ! 8
M'avez-vous, sans compter, prodigué vos trésors ? 12
Ai-je pu vider vos corbeilles 8
20 Sans savoir que je gaspillais ? 8
O joie à nulle autre pareille !… 8
Quand vos bras radieux ployaient 8
Sous leur fardeau de fraîches roses, 8
Ai-je pu défeuiller les fleurs les mieux écloses 12
25 Ai-je pu m'enivrer du miel 8
Que vos essaims d'argent butinent 8
Parmi les clairières du ciel ? 8
Et leur belle rumeur divine 8
Bourdonnait-elle tout autour 8
30 De l'émoi grandissant que m'apportait le jour ? 12
Ai-je connu tous vos délires 8
Si spontanés que, même fous, 8
Ils ont la grâce de vos rires ? 8
Avez-vous fleuri notre joug, 8
35 Et vos brillants liens de soie 8
Ont-ils noué en gerbe une moisson de joie 12
Hélas ! vous savez bien que non ! 8
Vos yeux se remplissent de honte 8
Et vous détournez votre front… 8
40 Vous connaissez le triste compte 8
D'espoir à chaque instant détruit, 8
De souffrance inutile et de désir sans fruit ! 12
Vous savez que la moisson blonde 8
Que vous serriez dans vos liens, 8
45 N'était vraiment lourde et féconde 8
Que d'ivraie et non de bon grain, 8
Et, qu'en la fauchant, votre rire 8
Sonnait haut pour cacher le sanglot qui déchire ! 12
Et tous les gais bleuets du joug 8
50 N'empêchaient pas sa meurtrissure. 8
Lorsque, dans le grand soleil d'Août, 8
La charge des javelles mûres 8
Était trop lourde pour mon front 8
Puisque vous aviez clos les granges des maisons… 12
55 Vous savez que de vos abeilles 8
Je n'ai connu que l'aiguillon, 8
Et que d'avoir vu la merveille 8
De leurs bruissantes légions 8
A travers la brume du rêve 8
60 N'a servi qu'à me faire encor souffrir sans trêve ! 12
Vous savez que vous réserviez, 8
Dans les odorantes brassées, 8
Les fleurs des plus rouges rosiers ! 8
Que, ma convoitise attisée, 8
65 Vous enfermiez tous vos trésors 8
Hors de portée, au creux de vos corbeilles d'or ! 12
Vous n'avez rien donné, Jeunesse, 8
Hormis votre propre beauté ! 8
… Et pourtant, dans le jour qui baisse, 8
70 Presque au moment de vous quitter, 8
Ces biens dont vous fûtes avare 8
Voici que ma ferveur brusquement s'en empare ! 12
J'ai reçu d'un autre que vous 8
Le talisman secret… Et l'ombre, 8
75 Qui descend lentement, dissout 8
Vos ténèbres, Jeunesse sombre ! 8
Mon chemin vous l'avez quitté 8
Et voici que sa nuit m'éblouit de clarté 12
Car, près de moi, brille une étoile ! 8
80 Je ne l'atteindrai pas, c'est vrai, 8
Mais elle m'apparaît sans voiles 8
Et me transperce de ses rais ! » 8
…Écoutez battre ce cœur triste… 8
« Je ne l'ai pas connu, mais le bonheur existe ! » 12
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