Métrique en Ligne
HRV_1/HRV7
Henriette HERVÉ
DILECTION
1925
SUIVANT L'HUMEUR DES JOURS
EPΩΣ ΠΗΓΑΖΩΝ(1)
Un jour qu'une soif inconnue 8
Tourmentait trop mon cœur, j'ai vu soudain jaillir 12
D'immenses gerbes d'eaux ; et ma poitrine nue 12
Sentit s'accroître son désir 8
5 Sous leur caresse diaphane… 8
Pourquoi déferlaient-ils tous ensemble, ces flots 12
Chargés de mélodie et de chants et d'échos ? 12
Qui donc avait levé leur vanne ? 8
D'où venait leur bouillonnement 8
10 De quel mystérieux réservoir millénaire ? 12
Eux que j'avais connus inertes et dormants 12
Pourquoi cessaient-ils de se taire 8
Et de leurs torrents déliés 8
Faisaient-ils, tout à coup, monter un hymne vierge ? 12
15 … Je tenais simplement, en passant sur leurs berges. 12
Un rameau de vert coudrier… 8
Et, depuis ce jour, ils m'émeuvent ! 8
Ils enivrent ma soif sans jamais l'apaiser ! 12
Leurs éternelles voix disent ma chanson neuve 12
20 Plus fraîche qu'un jeune baiser ! 8
Refrains, versets, textes profanes, 8
Tout ruisselle d'eau vive, et je baigne mon cœur 12
Aux jets d'eau jaillissants des lyriques ardeurs ! 12
Mais qui donc a levé la vanne ? 8
25 Qui donc, eau des Rhètes sacrés, 8
Te libère aujourd'hui ?… Coule ! Un temple est en fête ! 12
Le jeune été combat, et, du haut des degrés, 12
Il crible la mer violette 8
De ses beaux regards sans pitié ! 8
30 Coule !… Et, quand le soir viendra, coule ! eau du Céphise ! 12
Et baigne encor Phœbé dans ta fraîcheur exquise, 12
A l'ombre des grands coudriers… 8
Ah ! coule, eau de Cyparissie ! 8
Sur ta bouche déclose un sourire a tremblé… 12
35 La verveine de ta guirlande est refleurie, 12
Voici les prémices du blé 8
Et des offrandes de gourganes… 8
Alors, de ton écume éblouissant mes yeux, 12
Tu débordes enfin, et tes flots radieux 12
40 Font se lever plus haut la vanne ! 8
Coule, eau du Latium, et fuis 8
De la vigne à l'ormeau, du myrte à l'oléandre ! 12
Chante les jours heureux et la grâce des nuits ! 12
Poursuis-la trace, en tes méandres 8
45 Du pied fourchu des chevriers ! 8
Ils déroulent leur ronde et tu noues tes volutes, 12
Et j'entends alterner le chant clair de tes flûtes 12
Et leurs pipeaux de coudrier… 8
Coule, eau de jade et de turquoise ! 8
50 Eau des vasques de Perse ! Un chibouk d'ambre aux dents, 12
Je vois sur la faïence où tes rinceaux se croisent, 12
Refleurir mon rêve, en guidant, 8
De mon doigt pointu de sultane, 8
Un bouton de jasmin sur tes frais entrelacs… 12
55 Et, dans la nuit, lorsqu'un amant chante là-bas, 12
Des pleurs s'égouttent de tes vannes… 8
Coule, aussi, printemps d'Albion ! 8
Est-ce l'aube aux yeux gris, qui, pensive, dévide 12
Sur la pervenche, et l'herbe, et les tendres surgeons, 12
60 Tes écheveaux d'argent liquide ? 8
SssSssı… un rossignol va triller… 8
Mais tu mêles sa joie à tes glissantes mailles 12
Pour chanter la beauté… Il fuit… revient… tressaille.. 12
Il est là… sur un coudrier ! 8
65 Et toi, coule, eau folle d'Espagne ! 8
Tu roules dans tes flots cœurs et corps enlacés ! 12
Brusque et rompue, issant des rocs de la montagne. 12
Premier regard, dernier baiser, 8
Sans que les fleurs d'œillet se fanent… 8
70 Eau jamais fraîche, et désaltérante pourtant, 12
J'ai senti ta saveur de soleil et de sang ! 12
Qui donc osa lever ta vanne ? 8
Et qui donc, belle eau des étangs, 8
T'a fait mieux chuchoter, sous la froide lumière, 12
75 Ta perfide berceuse ? Et sous les bouleaux blancs, 12
J'ai vu la main des lavandières 8
Tordre les cheveux des noyés ! 8
…La brume enfume la lune !… Chante ! je t'aime… 12
Chante ! J'ai peur… Et demain au petit jour blême 12
80 J'irai me pendre aux coudriers… 8
Enfin toi, source éblouissante ! 8
Tu m'as heurté la face ! Et tu fus, tour à tour, 12
Ruisseau, fleuve, torrent, trombe dans tes tourmentes, 12
Caresse dans tes chants d'amour ! 8
85 Ton eau s'aiguise en filigrane 8
Pour sertir de rosée une rose qui choit… 12
Mais. ton eau peut jaillir des bassins du grand Roy 12
Quand on sait en lever la vanne ! 8
Elle humectait le calathus 8
90 Avant d'avoir passé dans l'amphore latine, 12
Et de ces vases purs, à tout jamais ton flux 12
Gardera la forme divine… 8
Ah ! coule et que mes yeux mouillés 8
Puissent, dans ta fraîcheur, oublier leur jeunesse ! 12
95 Baigne mon flanc troué, 'que déchire et que blesse 12
Ce brin rompu de coudrier ! 8
Viens ! Bondis, éclabousse, imprègne, 8
Frappe par tes remous mon âme en désarroi, 12
Et que ta marée haute ait des vagues qui saignent ! 12
100 Mais quand ton tumulte entre en moi, 8
Nourris mon cœur d'un peu de manne ! 8
Avant d'éparpiller, aux quatre vents du ciel, 12
Ton onde étincelante et tes chants immortels, 12
Dis-le donc, Qui levait ta vanne ! 8
(1) Erôs qui fait jaillir les sources.
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