Métrique en Ligne
HRV_1/HRV5
Henriette HERVÉ
DILECTION
1925
SUIVANT L'HUMEUR DES JOURS
PAR UN SOIR ÉTOILÉ
À M. le pasteur J. Breitenstein.
Mon Dieu ! Si je croyais en vous 8
Je ne vous dirais pas : Pourquoi tant de désastres 12
Tant de fléaux, tant de courroux, 8
Tant de jougs passés, même aux astres ? 8
5 Pourquoi l'effort dans nos destins vite arrêtés ? 12
Je sais le prix 'de la nécessaire contrainte, 12
Et je n'élèverais jamais aucune plainte 12
Pour d'utiles calamités. 8
Au plus fort des hivers je dirais vos louanges, 12
10 Je sais que le repos sous la neige et la fange 12
Font mieux germer les blés d'été ! 8
Je bénirais votre science 8
D'avoir créé l'épreuve à côté de l'espoir 12
En stimulantestimulantes alternances ! 8
15 Je vous glorifierais d'avoir 8
Dressé devant la force une force contraire, 12
D'avoir mis la falaise au front de l'Océan, 12
D'avoir fait de la lutte entre vos firmaments 12
Un grand mouvement solidaire 8
20 Où chaque étoile entraîne une étoile et la suit, 12
D'avoir fait succéder au jour la sombre nuit 12
Puis aux ténèbres la. lumière ! 8
Si je croyais en vous, mon Dieu, 8
Je vous louerais pour la grâce nécessitante 12
25 De nos appétits furieux ! 8
Il faut qu'on mange et qu'on enfante 8
Et nous avons trouvé, grands désirs ennoblis, 12
L'amour et le travail ! La paix vient des batailles ; 12
Par l'effroi que causaient d'injustes représailles 12
30 Vous nous avez mieux réunis ! 8
Je sais la vanité de vouloir être libre 12
Et que l'antagonisme établit l'équilibre 12
Dans l'âpre vertu des conflits ! 8
Je sais ! Je sais ! Mais je demande, 8
35 Élevant vers les cieux mon esprit révolté, 12
Pourquoi faut-il que trop d'offrandes, 8
Sur vos autels sans équité, 8
N'aient pu que se flétrir et tomber en poussière. 12
Au lieu d'avoir donné tous les fruits attendus ? 12
40 N'accorderez-vous pas à chaque homme son dû ? 12
Pourquoi tant de cœurs en prière 8
Usant, si vainement, d'admirables ardeurs ? 12
Pourquoi des champs et des blés mûrs sans moissonneurs ? 12
Pourquoi des vallons sans chaumières ? 8
45 Pourquoi des treilles sans raisins 8
D'où l'automne inutile, en posant sa caresse, 12
Ne fera pas jaillir le vin ? 8
Pourquoi des bras pleins de jeunesse 8
Ont-ils tendu, si longuement, leurs premiers vœux, 12
50 Qu'ils ont dû replier leur geste qui vacille 12
Pour contenir d'anciens désirs restés stériles ? 12
Pourquoi la vieillesse, mon Dieu ? 8
Et dans des corps usés des âmes qui suffoquent 12
Avant la mort ? Pourquoi l'amour sans réciproque, 12
55 Et pourquoi des foyers sans feu ? 8
Seigneur ! faut-il donc que je croie 8
Qu'après avoir créé notre jeune univers, 12
Et l'avoir baigné dans la joie 8
Comme un. enfant au flot des mers, 8
60 Vous avez détourné de nous votre clémence 12
Vous avez étalé devant nous les apprêts 12
D'un merveilleux festin, et quand nous sommes prêts, 12
Animés par vous d'appétence, 8
Vous nous dites : « Non ! Non ! Viens endurer ta faim 12
65 Auprès des tables d'or ! Tu rongeras tes poings 12
En contemplant leur abondance ! 8
Toi qui, là-bas, ouvres des yeux 8
Comme éblouis, aux jeux mouvants de ma lumière, 12
Approche ! et si jamais tu veux 8
70 Produire l'œuvre qui libère, 8
J'éteindrai tes regards dans une nuit sans fin ! 12
Et toi, dont le sourire est si près de l'extase 12
Pour avoir entendu quelque chantante phrase 12
Que murmurait le vent lointain, 8
75 Toi qui frémis aux sons comme une lyre immense, 12
Je t'assourdis ! et, pour déchirer le silence, 12
Tu gémiras toujours en vain ! 8
Et puis vous vous tournez ensuite 8
Vers celui qui saurait mieux que d'autres aimer… 12
80 Seigneur ! à cet être d'élite, 8
Au fond duquel vous enfermez 8
La passion, voici vos mots de discipline 12
Ceux qui te l'offriront ne sauront l'inspirer, 12
Mais le jour ‒ où ton cœur, enfin transfiguré, 12
85 Battra bien fort dans ta poitrine, 8
Nul ne te répondra ! Misérable exilé, 12
Tu n'auras jamais eu qu'un geste mutilé 12
Par le sort que je te destine ! » 8
Ah ! juste Dieu pourquoi ? Pourquoi 8
90 La lacérante entrave et la peine arbitraire ? 12
Pourquoi cette stérile loi 8
Des étaux que rien ne desserre ? 8
Vous semez vos trésors devant tous les gibets 12
Où vous nous suspendez ! Vous allumez nos âmes 12
95 Pour mieux les consumer d'asphyxiantes flammes ! 12
Vous employez le couperet, 8
Le pilori, la roue et la hart violente 12
Sur de pauvres destins qui ne sont que l'attente 12
D'un jour qui ne luira jamais ! 8
100 N'eût-il pas mieux valu les prendre 8
Et les guérir, et les guider sur les chemins 12
Où d'autres êtres aussi tendres 8
Auraient pu leur presser les mains ? 8
Sans rien changer à l'univers, puisque la vie est brève, 14
105 J'aurais rempli les jours de chaque homme ici-bas 12
D'un fertile travail ! J'aurais chargé ses bras 12
D'un fardeau qui les élève 7
Sans les briser ; j'aurais comblé les cœurs vaillants ; 12
Le sein de chaque mère allaiterait l'enfant 12
110 Qu'a toujours désiré son rêve ! 8
Si je croyais en vous, Seigneur ! 8
Ah ! je vous renierais ! Non pour d'âpres veillées 12
D'où sort plus beau notre labeur, 8
Mais pour la force gaspillée, 8
115 Pour toutes les ardeurs qui n'ont pu s'éprouver ! 12
Les infirmes, d'âme ou de corps, qui, par le monde, 12
N'ont pu donner l'effort total, l'œuvre féconde 12
Dont leur cœur était soulevé, 8
Tous ceux-là, pourquoi les faites-vous souffrir, dites, 12
120 Seigneur ? Leur semence était-elle donc maudite, 12
Et seraient-ils les réprouvés ? 8
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