Métrique en Ligne
HEU_1/HEU44
Gaston HEUX
L'INITIATION DOULOUREUSE
1er cahier
1924
Le livre viril
VI
Le Fumet du Quotidien
… « Ce sont de grandes dames… »
(La Tour de Nesles. Dumas père.)
CANTINES DE GUERRE
I
En rupture de Samothrace
L'auberge de mon choix m'excède 8
D'un rétif et long contre-sens… 8
Non qu'au rabais elle nous cède 8
Le chapon que gave le Mans… 8
5 La table claire offre une eau fraîche 8
A des clients de quatre sous… 8
L'ivresse, même de Campêche, 8
Ne les roule jamais dessous. 8
Ma mémoire, quel est l'artiste, 8
10 — Est-ce Van Dyck, est-ce Callot ? — 8
Qui de l'agape fantaisiste 8
Sortait en peignant son écot ? 8
? —Mais foin d'une absurde ressource… 8
Plus de festins qui soient trop verts ! 8
15 Les poètes, mal vus en bourse, 8
N'auront point à solder en vers. 8
Nul n'est si pauvre que Tantale 8
Tournant au gueux dans ce pays, 8
Doive, exilé de notre salle, 8
20 Humer de loin ce paradis… 8
Par quelque échelle qu'on y grimpe 8
Le rêve agile y voit les cieux 8
Et savoure une heure d'Olympe 8
A la table où servent les dieux. 8
25 Si Watteau changeait en bergères 8
Les marquises à falbalas… 8
Nos déesses, plus ménagères, 8
Perdent leurs roses dans nos plats 8
Et j'épie et suis à la trace, 8
30 Aux bols fumants chauffant leurs doigts 8
Des serveuses de Samothrace 8
Cachant des ailes… que je vois ! 8
Et je sens, qui lutte et s'ébroue, 8
L'impatience d'un vol d'or, 8
35 Quand la table, ainsi qu'une proue, 8
Invite à l'appui leur essor ! 8
II
Et d'autres
Et d'autres, mamans qu'improvise 8
L'instinct de leurs cœurs avertis, 8
Adoptent la langue indécise, 8
40 Le balbutiement des petits… 8
Riens profonds experts à tout dire 8
Murmures voilant leurs propos !… 8
Sens précis d'un vague sourire, 8
Sourdine dans la paix des mots ! 8
45 Au seuil encor de la réserve, 8
Leur voix s'enhardit pour ce chant, 8
Et, timide en veine de verve, 8
Le babil en devient touchant. 8
Ah ! que fait d'elles l'existence, 8
50 De ces mamans des fils d'autrui ? 8
Que sont-elles dans leur silence, 8
Ces éloquentes d'aujourd'hui, 8
D'un excès de joie oppressées, 8
Elles n'assistent sans dédain. 8
55 Des pénombres de leurs pensées, 8
Qu'à des fêtes dans du lointain. 8
Et cet effroi des clartés vives ! 8
Pudeur qui détourne du bal 8
Ces âmes si vraiment pensives 8
60 Que l'allégresse leur sied mal. 8
La seule force du sourire, 8
Le charme enlisant de leur voix 8
Sur l'enfance étend un empire 8
Dont le sceptre étonne leurs doigts 8
65 Et les petits se reconnaissent 8
Dans ces humbles et grandes sœurs 8
Sœurs très grandes, mais qui se baissent 8
Sœurs très humbles, jusqu'à leurs cœurs ! 8
Dérobant leur tendresse en elle 8
70 Elles grondent les chers méchants ; 8
Mais, justicières maternelles, 8
Sont douces aux remords d'enfants. 8
Comme une eau bleue où vont descendre 8
Les ombres précoces des soirs, 8
75 Tels, à force de feinte tendre, 8
Les yeux clairs se font presque noirs !… 8
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