Métrique en Ligne
HAR_2/HAR98
Edmond HARAUCOURT
L’Âme nue
1885
I
LA VIE EXTÉRIEURE
LES LOIS — LES CULTES — LES FORMES
LES FORMES
AURORE
Le soleil naît. D’un jet de lumière, il arrose 12
Les nuages errant dans l’or clair du matin, 12
Si rosés qu’on dirait des pétales de rose 12
Qui s’effeuillent sur du satin. 8
5 Fraîche, l’eau court et glisse entre les herbes neuves ; 12
Dans la pénombre humide où chantent les remous, 12
Les vieux saules en pleurs, prostrés comme des veuves, 12
Trempent leurs bras grêles et mous. 8
Le sable micacé luit au versant des berges ; 12
10 Les calices, baignés de la splendeur du jour, 12
S’ouvrent en palpitant comme le cœur des vierges 12
S’ouvre aux premiers frissons d’amour. 8
Le vent jeune qui rit en froissant les feuillées 12
Agace les troncs bruns et crispe les roseaux, 12
15 Et la chanson de l’air sous les branches mouillées 12
Réveille le chant des oiseaux. 8
Salut au ciel joyeux, au ciel couleur de cuivre ! 12
Et de l’occident pâle à l’orient vermeil, 12
Les bêtes, savourant le grand bonheur de vivre, 12
20 Regardent monter le soleil. 8
Un long cri de gaîté s’envole de la terre : 12
Et sous son dais brodé de nuages mouvants, 12
L’astre roi, dieu des dieux, penché comme un bon père, 12
Bénit la vie et les vivants… 8
25 — Mais te voici ramper, vieille louve aux pas traîtres, 12
Buveuse de sang chaud, filleule de la mort ! 12
La Faim, l’ogresse Faim hurle au ventre des êtres, 12
Qu’elle tenaille et qu’elle mord. 8
Alors, partout, des quatre horizons, l’air immense 12
30 S’emplit d’un douloureux et sourd gémissement : 12
Et l’œuvre de carnage antique recommence, 12
Doucement et sinistrement. 8
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