Métrique en Ligne
HAR_2/HAR85
Edmond HARAUCOURT
L’Âme nue
1885
I
LA VIE EXTÉRIEURE
LES LOIS — LES CULTES — LES FORMES
LES FORMES
LA CHANSON DE LA MER
À MADAME E. DARDOIZE
Mer ! J’aime le refrain de ta rauque chanson. 12
Viens mourir à mes pieds, pauvre vague plaintive ; 12
Roule tes longs soupirs sous le morne horizon ; 12
Pleure et chante en pleurant, immortelle captive 12
5 Qui heurtes ta tristesse aux murs de la prison ! 12
Je songe aux affligés des races plus anciennes, 12
À ceux qui sont venus écouter tes sanglots, 12
Aux martyrs de douleurs plus grandes que les miennes, 12
Qui berçaient leur chagrin au rythme de tes flots, 12
10 Et mêlaient leurs larmes aux tiennes… 8
— Viens mourir à mes pieds, pauvre vague en courroux : 12
Hurle, tords-toi, bondis, jette ton flot qui gronde 12
Sur le rempart massif des roches aux flancs roux : 12
Ta rage, morte au choc des granits qu’elle inonde, 12
15 Ruisselle sur leur mousse et filtre dans leurs trous. 12
Je songe aux travailleurs de l’idée inflexible : 12
À tous ceux qui voulaient, luttaient, fermes et forts ; 12
Dont l’âme, aux premiers jours, se croyait invincible, 12
Et qui, las, sont venus broyer leurs vains efforts 12
20 Aux durs brisants de l’impossible ! 8
— Emblème des vaincus dont tu chantes le vœu, 12
Ô Mer, use sans fin tes digues inusables ! 12
Pleure éternellement sous le ciel toujours bleu. 12
Sœur des souffrants, sœur des damnés, meurs sur les sables, 12
25 Comme nos désespoirs meurent aux pieds de Dieu ! 12
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