Métrique en Ligne
HAR_2/HAR58
Edmond HARAUCOURT
L’Âme nue
1885
I
LA VIE EXTÉRIEURE
LES LOIS — LES CULTES — LES FORMES
LES CULTES
LORSQUE J’ÉTAIS ENFANT
Lorsque j’étais enfant, j’allais dans les guérets : 12
Je prenais une pierre, un fruit, et je l’ouvrais, 12
Brusquement, puis, d’un coup, je me penchais, rapide, 12
Écarquillant mes yeux dans un désir avide 12
5 Pour voir ce que personne, avant moi, n’avait vu. 12
Car je ne savais pas que le soleil a bu 12
Dans les coupes de l’air l’âme et le suc des arbres : 12
Que les vents ont roulé la poussière des marbres, 12
Et que la mer les a pétris ; qu’ils ont couru 12
10 Et glissé sur la mousse aux sauts chantants du ru ; 12
Qu’ils ont été des flots, de grands bœufs et des roses ; 12
Et que l’Être, dans l’orbe incalculé des choses, 12
Va, passe, vient, revient et mue infiniment. 12
Et j’ignorais que tout nous échappe et nous ment ; 12
15 Que nos efforts sont fous, que nos forces sont faibles 12
Comme le mauvais vin rougi du sang des hièbles ; 12
Que nos calculs, nos vœux sans fin, nos volontés 12
Sont des Ilotes soûls rêvant des royautés ; 12
Que ce que nous créons est vieux dès sa naissance, 12
20 Et que tout notre orgueil est peuplé d’impuissance ! 12
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