Métrique en Ligne
HAR_2/HAR45
Edmond HARAUCOURT
L’Âme nue
1885
I
LA VIE EXTÉRIEURE
LES LOIS — LES CULTES — LES FORMES
LES LOIS
L’ÉTAPE
La terre incandescente a rugi dans l’abîme 12
Où tournoyait la ronde ardente des soleils, 12
J’étais. Et dispersé, nombreux, mon être infime 12
Bouillait dans les bouillons vermeils. 8
5 J’ai couru dix mille ans dans le cycle des choses, 12
Chassé du Nord au Sud et de l’Ouest au Levant, 12
Et roulant au hasard dans les métamorphoses 12
Comme un grain de poussière au vent. 8
J’ai vécu dans la vie immense et multiforme ; 12
10 Et comme saint Lazare exultant du tombeau, 12
Je renaissais de moi dans mon cercueil énorme, 12
Toujours épars, toujours nouveau. 8
Poudre innomée, essence instable et vagabonde ! 12
Les nuages m’ont bu, les volcans m’ont craché, 12
15 Éphémère immortel dans la masse du monde, 12
Tour à tour visible et caché ! 8
Mon cœur errant et froid s’est figée sur les pôles ; 12
Ma chair torride a cuit au brasier des déserts ; 12
Les Atlas m’ont senti neiger sur leurs épaules ; 12
20 L’aigle m’a traîné par les airs ! 8
J’ai fleuri dans les fleurs, j’ai chanté dans les brises, 12
Et mon âme a vibré dans les blés des moissons ; 12
Je fus le duvet chaud dont les fauvettes grises 12
Ouataient leurs nids sous les buissons… 8
25 J’ai fait l’azur de l’air et la pâleur des brumes ; 12
Mon sang, dans l’eau du fleuve, a courbé les roseaux, 12
Et la mer a salé ses flots et ses écumes 12
Avec tous les sels de mes os. 8
Dix mille ans j’ai vagi dans l’ombre et la lumière, 12
30 Dans tout ce qui se meut et dans tout ce qui dort ! 12
Dix fois mille ans, depuis ma jeunesse première ! 12
Dix mille ans de lutte et d’effort ! 8
— Pour venir à la fin coucher mon frond stupide, 12
Ô femme, sous ton pied méprisant et banal, 12
35 Et plonger dans le ciel malsain de ton œil vide 12
L’essor de mon rêve idéal ! 8
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