Métrique en Ligne
GRS_1/GRS4
corpus Pamela Puntel
Charles GRANDSARD
L'ANNÉE MAUDITE
1870-1871
1871
L'AGONIE
Priez Dieu pour l'agonisant ! 8
Depuis bien des milliers d'années 8
Il vivait, les pieds reposant 8
Sur les parois des Pyrénées, 8
5 La tête aux mers du Nord gisant. 8
Son flanc droit touchait au rivage 8
Où mugit l'Océan sauvage, 8
Son flanc gauche aux flots verts du Rhin ; 8
Son cœur, aux deux bouts de la terre. 8
10 Poussait le sang par chaque artère 8
Avec un battement d'airain ! 8
Le colosse était si robuste, 8
Que les peuples venaient jadis 8
Au souffle de son large buste 8
15 Réchauffer leurs cœurs engourdis. 8
Et quand ses membres, d'aventure, 8
Rien que pour changer de posture 8
Dans son vaste lit s'ébranlaient, 8
Le sol tremblait jusqu'aux entrailles ; 8
20 Les cités aux fortes murailles 8
Comme un homme ivre chancelaient ! 8
Mais à présent, de sa narine, 8
Le souffle sort faible, abattu, 8
Sans pouvoir gonfler sa poitrine, 8
25 Sans faire mouvoir un fétu. 8
Secoué de frissons funèbres, 8
Dans le silence et les ténèbres 8
Le colosse râle, égorgé ; 8
Et le passant qui le regarde 8
30 Ne voit plus sortir que la garde 8
Du poignard dans son flanc plongé ! 8
Si l'étranger vers lui se penche 8
Et, d'un regard compatissant, 8
Cherche l'endroit par où s'épanche 8
35 Sa vie avec un flot de sang, 8
Soudain, la blessure cachée 8
Apparaît : la chair arrachée 8
Près du cœur laisse un trou béant, 8
Plaie affreuse, horrible fenêtre 8
40 Par où l’œil curieux pénètre 8
Jusqu'aux viscères du géant ! 8
Pourtant, sa vigueur est immense ; 8
Il pourrait encore guérir ; 8
Mais, ô lamentable démence ! 8
45 Lui-même s'acharne à mourir ! 8
Lui-même, d'une main crispée, 8
Retourne dans son flanc l'épée, 8
L'enfonce en se martyrisant ; 8
Et, pour rendre sa mort plus sûre, 8
50 Lui-même élargit la blessure 8
Par où l'âme va s'épuisant… 8
Priez Dieu pour l'agonisant ! 8
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