Métrique en Ligne
GRS_1/GRS31
corpus Pamela Puntel
Charles GRANDSARD
L'ANNÉE MAUDITE
1870-1871
1871
AUX FRANÇAIS
Oui ! nous avons été fouettés à toute outrance ! 12
Oui ! le sort, d'un seul coup, a-jeté sur la France 12
Un si pesant fardeau de hontes, de malheurs, 12
Qu'on en pourrait forger un siècle de douleurs ! 12
5 Eh bien ! ces maux, osons les regarder en face ! 12
Quand le destin nous tend la coupe, quoi qu'on fasse, 12
Dût-on la repousser des lèvres et du cœur, 12
Il faut en boire, enfin, la fétide liqueur 12
Et l'épuiser avant que notre main la lâche ! 12
10 Devant l'abîme ouvert, n'imitons pas le lâche, 12
Qui détourne la tête et qui ferme les yeux : 12
Le gouffre dévorant ne l'engloutit que mieux ! 12
Mais quand un peuple est fort,,qu'il s'appelle la France, 12
Il doit se garantir de cette ignoble transe ; 12
15 Il le doit à lui-même autant qu'à l'univers : 12
Oui ! s'il nous faut mourir, mourons les yeux ouverts ! 12
Mourir ? non ! mais souffrir : tel est notre partage ; 12
Car nous avons perdu le plus fier héritage 12
Dont un peuple, jamais, ait pu s'enorgueillir, 12
20 Et qu'après nous nos fils auraient dû recueillir ! 12
Nous avions un renom de valeur militaire ; 12
Et notre drapeau traîne, à présent,. sur la terre, 12
Honteux, couvert de fange… une loque en lambeaux ! 12
Nous possédions un sol beau parmi les plus beaux, 12
25 Que-les peuples jaloux couvaient d'un œil d'envie ; 12
Et la plus riche part nous vient d'être ravie : 12
Deux provinces, morceau de chair rouge et sanglant, 12
Que le Shylok prussien nous tranche dans le flanc ! 12
Enfin, l'or nous coulait des doigts comme l'eau claire ; 12
30 Et le vainqueur rapace, escomptant sa colère, 12
Nous a si bien sucés jusqu'aux os, qu'à présent 12
Pour nous la moindre obole est un riche présent ! 12
Car il sait calculer, le glorieux Empire ! 12
Deux fois plus usurier que le Juif de Shakspeare, 12
35 Qui croyait se payer, or ou sang, assez cher, 12
Lui, prend tout à la fois : et l'argent et la chair ! 12
Mais dans ton indigence, ô ma pauvre patrie ! 12
Il te reste un trésor que, malgré sa furie, 12
N'a pu te dérober le rapace Germain, 12
40 Parce que ce trésor est trop haut pour sa main : 12
Ce bien, c'est ton honneur ; c'est l'honneur de la France ! 12
Oui, Français ! gardez-en l'énergique assurance : 12
Ces cupides larrons de terres et d'écus, 12
Malgré tous vos malheurs, ne vous ont pas vaincus ! 12
45 Ce qu'ils ont renversé dans la fange sanglante, 12
Ce sont vos anciens chefs, cette tourbe insolente, 12
Qui, pour entretenir un luxe étourdissant, 12
Monnayaient sans pudeur vos sueurs, votre sang ; 12
Laissaient vos arsenaux et vos casernes vides ; 12
50 Pour flatter les désirs de cent Phrynés avides, 12
En scandaleux présents gaspillaient ces millions, 12
Destinés à nourrir de braves bataillons, 12
Et, contre ces Germains bien armés et sans nombre, 12
Conduisirent non pas la France, mais son ombre ! 12
55 Vous, les mangeurs de feu, vaincus ? Non pas, vraiment ! 12
On ne vous dompte pas, vous, si facilement ! 12
Qui' donc a, comme vous, la fibre militaire, 12
Le sang rouge et fumeux qui bondit dans l'artère, 12
Le nerf électrisé qui vibre en frémissant 12
60 Et fait de tout soldat un lion rugissant ? 12
A ce banquet sanglant où la guerre convie, 12
Qui porte, comme vous, ce mépris de la vie, 12
Et cet amour ardent de l'inflexible honneur, 12
Pour qui fuir est un crime, et mourir, un bonheur ? 12
65 Et qui donc, à côté de ce cœur intrépide, 12
Possède encor l'esprit lumineux et rapide 12
Qui, dans un seul coup d’œil, sait tout envelopper : 12
Et le poste à défendre, et le coup à frapper ? 12
Non ! quand on est ainsi doué par la nature, 12
70 On peut, dans le tournoi, succomber d'aventure 12
Sans ternir le blason gravé sur son écu ; 12
On peut être meurtri : mais on n'est pas vaincu ! 12
Et c'est vous, les enfants gâtés de cette mère, 12
Qui, pour une défaite, une chute éphémère, 12
75 Seriez brisés au point de ne pouvoir guérir ? 12
Non ! la France n'est pas condamnée à périr 12
Pour avoir défailli dans un jour de bataille ! 12
Ces grands corps ont parfois des douleurs à leur taille ; 12
Et plus leurs membres ont de nerf et de vigueur, 12
80 Plus la crise, chez eux, sévit avec rigueur. 12
Mais la même vigueur qui cause leur souffrance, 12
Quand la crise a passé, hâte leur délivrance ; 12
Et le monde étonné les a vus bien souvent 12
Reparaître plus sains, plus forts qu'auparavant ! 12
85 Ne souffrons donc jamais qu'une frivole crainte 12
Nous comprime le cœur sous sa honteuse étreinte : 12
De ses cendres, bientôt, la France renaîtra ! 12
Mais, sachons-le bien tous ! ce grand jour ne luira 12
Que si chacun de nous, de toute sa puissance, 12
90 Veut hâter le moment de la convalescence, 12
Et rendre au moribond, sur le sable étendu, 12
Au prix même du sien, le sang qu'il a perdu ! 12
Français ! je ne suis rien ; mais j'ai l'âme rongée 12
Par l'aspect des douleurs où la France est plongée ! 12
95 Et bien ! si le souci qui m'étreint, incessant, 12
Qui me ride le front et me brûle le sang, 12
Qui me mine le corps atome par atome ; 12
De la patrie en deuil si le sanglant fantôme, 12
Qui hante chaque nuit mes rêves, morne et froid, 12
100 A votre attention me donnent quelque droit, 12
Frères ! écoutez-moi comme on écoute un frère ! 12
Croyez-moi : ce n'est pas un orgueil téméraire 12
Qui me pousse, rêveur obscur, à vous parler, 12
Mais cet amour ardent dont je. me sens brûler ! 12
105 O vous, qui dépassez l'âge d'insouciance, 12
Jeunes gens ! Si déjà vous avez conscience 12
Des grandeurs du passé, de nos récents malheurs, 12
Que le front douloureux de la patrie en pleurs 12
Se dresse entre votre œil et les fleurs de la vie ! 12
110 Et si, de les cueillir, il vous prenait envie, 12
Que ce grave penser retienne votre main : 12
L'existence, pour vous, n'est plus ce gai chemin 12
Où ceux qui, devant vous, marchent dans la carrière, 12
Allaient, les pieds dans l'herbe et l’œil dans la lumière, 12
115 Mais une route aride, au terme obscur, lointain ; 12
Et, pour l'atteindre, il faut partir de grand matin ! 12
Dites-vous qu'un devoir sérieux vous incombe : 12
Celui de relever la France qui succombe, 12
Et que, pour être un jour dignes d'y concourir, 12
120 Bien avant l'âge mûr il vous faudra mûrir ! 12
Hélas ! pauvres enfants ! de vos belles années 12
Sous le vent du malheur, les fleurs gisent fanées, 12
Sans qu'ils vous soit permis, quand vous en serez près, 12
D'y jeter en passant un coup d’œil de regrets ! 12
125 Votre sort est pourtant moins triste qu'on ne pense ; 12
Car tout devoir emporte en. lui sa récompense : 12
Oui ! le grave penser de votre mission, 12
En étouffant chez vous la folle passion, 12
Vous mettra sur le front le noble caractère 12
130 De toute âme vouée à quelque tâche austère ; 12
Hommes bien avant nous, vos aînés, vos parents, 12
Vous serez moins heureux, peut-être, mais plus grands ! 12
Et vous, qui vous dressez dans la force de l'âge, 12
Bourgeois de la cité, laboureurs du village, 12
135 Songez-que le temps presse, et que, dès ce moment, 12
Nul ne doit plus, à soi, penser uniquement ; 12
Mais qu'au bien général si chacun ne conspire, 12
L'ensemble va crouler et la patrie expire, 12
Et que, sous l'édifice en informes débris. 12
140 Vous demeurerez tous écrasés et meurtris. 12
Oui ! que nul ne s'absorbe en soi seul, ne spécule 12
Dans l'unique intérêt de son petit pécule : 12
Vous devez à l'état toute votre valeur ; 12
Et qui n'acquitte pas sa dette, est un voleur ! 12
145 Tous les devoirs sacrés de la nature humaine, 12
Les avez-vous remplis, quand, après la semaine, 12
A vos petits enfants vous rapportez enfin 12
Le vêtement du corps, l'aliment de la faim ? 12
Ce n'est là que la loi première, indispensable ; 12
150 Et le lion lui-même, en son désert de sable, 12
Va chercher, pour nourrir ses jeunes lionceaux, 12
Un gibier qu'au retour il leur mâche en morceaux ; 12
Puis, il va de nouveau, pour eux, fouiller l'espace. 12
Que faites-vous de plus que l'animal rapace ? 12
155 Oui ! qui violerait ce devoir nourricier 12
Tomberait au dessous du brutal carnassier ! 12
Mais, outre ce devoir de votre vie intime, 12
Il en est un, non moins pressant et légitime : 12
De payer à l'État sa part de votre cœur, 12
160 D'unir vos volontés en un immense chœur 12
Pour raviver sa chair par ses douleurs flétrie, 12
Et pour ressusciter l'âme de la patrie ! 12
Que chacun, abdiquant sa personnalité, 12
La fonde sans regrets dans la grande unité ! 12
165 Car la patrie, enfin, c'est l'âme de votre âme ; 12
C'est l'air de vos poumons ; c'est la puissante trame 12
Dont vous êtes le fil solide, mais épars, 12
Et qui, si vous manquez, craque de toutes parts. 12
Or, que cette âme un jour languisse, puis s'éteigne, 12
170 Doutez-vous qu'avant peu sa mort ne vous atteigne ? 12
Et l'enfant que sa mère encor porte en son sein, 12
Quand elle meurt, peut-il rester robuste et sain ? 12
Et que la trame, enfin, se brise et se disloque, 12
Il n'en restera plus rien qu'une informe loque, 12
175 Dont vous serez les fils rompus et dédaignés, 12
Pour le pavé fangeux d'avance désignés ! 12
Mais si chacun se colle et s'appuie à son frère, 12
Vous deviendrez plus grands et plus forts, au contraire ; 12
Car le plus faible acquiert la force du lion, 12
180 S'il porte dans son sein le grand cœur d'un million ! 12
Mais c'est à vous, surtout, que la règle s'applique, 12
Vous, magistrats chargés de la chose publique ; 12
Car, pour un citoyen, plus grand est le pouvoir, 12
Plus s'alourdit la charge et grandit le devoir ! 12
185 Loin de voir les profits ou l'éclat qui s'attache 12
Aux hautes dignités, n'y voyez qu'une tâche 12
Qu'on ne recherche pas, mais qu'avec tremblement 12
On accepte, enhardi par le seul dévouement. 12
Avant tout, dédaignez ces mesquines querelles 12
190 Qui heurtent à grand bruit les factions entre elles, 12
Où chacune, au succès de son propre drapeau, 12
Immolerait la France ainsi qu'un vil troupeau ! 12
Car ce n'est pas à telle ou telle coterie 12
Que sont dus vos efforts, mais bien à la patrie ; 12
195 Elle vous a remis vos pouvoirs dans la main 12
Pour la conduire au but par le plus court chemin : 12
En faire abus serait un vol, un sacrilège ! 12
Ne croyez pas avoir l'exclusif privilège 12
Des remèdes assez puissants pour la guérir ; 12
200 Quelle que soit la main qui vient vous les offrir, 12
S'ils conviennent au mal de ce grand corps qui saigne, 12
Prenez-les aussitôt sans regarder l'enseigne, 12
Et ne leur demandez que d'être purs et sains ! 12
N'allez pas imiter ces mauvais médecins 12
205 Qui, mandés au chevet d'un homme à l'agonie, 12
Jettent par la fenêtre, avec ignominie, 12
L'élixir qu'a prescrit un rival détesté, 12
Quoiqu'ils connaissent bien son efficacité, 12
Condamnant le malade au caveau funéraire 12
210 Plutôt que de le voir guéri par un confrère ! 12
Ceux-là, nul ne les doit appeler médecins ; 12
Mais bandits brevetés et lâches assassins ! 12
Et vous, braves soldats, glaive de la patrie ! 12
De tous ces maux qui font accablée et meurtrie, 12
215 Vous avez supporté le poids le plus pesant ! 12
Pourtant, consolez-vous ! On le sait, à présent : 12
Vous n'avez pas fait tache à votre renommée ; 12
Sous de plus dignes chefs, notre vaillante armée 12
Eût, contre tous, levé haut le cœur et le front, 12
220 Et sauvé le pays de ce hideux affront ! 12
Cet affront, vous pouvez le réparer encore, 12
Pourvu qu'à la valeur dont l'éclat vous décore, 12
Et que vantent tous ceux qui vous ont combattus, 12
Vous vouliez dans la suite unir d'autres vertus 12
225 Que certains, moins sûrs d'eux, plus que vous ont prisées 12
Et qui leur ont rendu leurs victoires aisées. 12
Ah ! tout est bien changé ! Ce n'est plus le beau temps 12
Où, s'ils avaient du cœur, des conscrits de vingt ans, 12
Faisant luire au soleil la fière baïonnette, 12
230 S'avançaient en chantant la vive chansonnette. 12
Puis, renversaient, au prix d'un vigoureux élan, 12
L'ennemi foudroyé sur le terrain sanglant ! 12
Ils résonnent encore aux. échos de l'histoire, 12
Ces fameux coups d'épée et ces cris de victoire, 12
235 Tous ces bruits triomphants qu'en des jours plus heureux 12
Vos pères, vos aînés ont semés derrière eux ! 12
Tout cela, c'est fini ! Désormais, la science 12
Remplace l'héroïque et folle insouciance ; 12
Et les succès fameux qu'on chante dans le vent 12
240 Ne sont plus au plus brave : ils sont au plus savant ! 12
Oui ! la force du jour, devant qui tout s'incline, 12
S'appelle de deux noms : savoir et discipline ! 12
Mais vous, de la nature enfants chers et gâtés, 12
Vous, qu'elle a de ses dons si largement dotés, 12
245 Vous saurez enrichir votre instinct militaire 12
De ces fortes vertus, ces reines de la terre ; 12
Et quand à votre ardeur cet appoint se joindra, 12
Qu'il se montre, celui qui vous arrêtera ! 12
Et puis, si vous aimez le grand art de la guerre, 12
250 Ouvrez moins votre cœur à cet amour vulgaire 12
Pour ces colifichets, pour tous ces oripeaux 12
Qui retenaient, jadis, plusieurs sous les drapeaux. 12
Dites-vous, pour monter à cette indifférence, 12
Que vous êtes la force et le nerf de la France, 12
255 Qu'elle compte sur vous à l'heure du danger ; 12
Vous sentirez, alors, tous vos rêves changer : 12
Du devoir accompli l'orgueil si légitime, 12
Ce trésor qui supplée à tout, sa propre estime, 12
Et ce bonheur, si cher au cœur du citoyen, 12
260 D'avoir à son pays pu faire quelque bien, 12
Vous dédommageront de ces hochets futiles ; 12
Pour être moins brillants, vous serez plus utiles ; 12
Car voici vos devoirs en deux mots renfermés : 12
Soyez à l'avenir des citoyens armés ! 12
265 Artistes renommés, dont les œuvres puissantes 12
Émeuvent à leur gré les foules frémissantes, 12
Vous, les prêtres du Beau, vous qui, dans votre main, 12
Pétrissez, façonnez l'âme du genre humain, 12
L'avenir vous impose une tâche bien grave ; 12
270 Car il faut que votre art, en traits de flamme, grave 12
Par le marbre, la toile, enfin, par tous moyens, 12
De nouvelles vertus au cœur des citoyens. 12
Par là splendeur du Beau relevez leurs pensées, 12
Vers de vils intérêts trop souvent rabaissées ; 12
275 Inspirez-leur le goût du sévère et du grand, 12
Qui rend l'homme, aux étroits calculs, indifférent, 12
Et dans leur âme molle, entre vos mains pétrie, 12
Gravez au plus profond l'amour de la patrie ! 12
Et l'art, par vos travaux ennobli, prendra rang 12
280 Parmi ce que le monde enferme de plus grand ! 12
Surtout, rappelez-vous que l'art est seul le maître 12
Et que c'est au public profane à se soumettre ; 12
A ses grossiers penchants résistez, courageux ; 12
Ne lui montrez jamais de ces tableaux fangeux 12
285 Qui, dans le fond de l'âme exerçant leurs ravages, 12
Réveillent les instincts ignobles et sauvages, 12
Corrompent dans les cœurs les semences du bien, 12
Pourrissent par degrés l'homme et le citoyen, 12
Et, calcul odieux ou coupable imprudence, 12
290 Des peuples dépravés hâtent la décadence ! 12
Et ne me dites pas que la moralité 12
Doit être indifférente à la pure beauté, 12
Que l'art doit être libre, et qu'en cherchant l'utile, 12
Son brillant idéal s'altère et se mutile ! 12
295 L'art tient à la vertu par un secret lien ; 12
Car on l'a dit : le beau, c'est la splendeur du bien ! 12
Ah ! craignaient-ils, par là, d'altérer leur génie, 12
Ces artistes divins de la Grèce bénie, 12
Quand ils haussaient leur art aux sublimes sommets 12
300 Que vous visez toujours sans y toucher jamais ? 12
Non ! cet art qu'ils servaient avec idolâtrie, 12
Ils l'ont mis, noble offrande, aux pieds de la patrie ; 12
Et le beau, pour eux tous, ne fut qu'un sûr moyen 12
D'élever, d'ennoblir l'âme du citoyen ! 12
305 Artistes ! vous pouvez les imiter sans crainte ! 12
Et votre œuvre, marquée à cette double empreinte 12
De vertu généreuse et de pure beauté, 12
Passera, rayonnante, à l'immortalité ! 12
Et vous, femmes ! et vous ! à cette œuvre vitale, 12
310 La résurrection de la terre natale, 12
N'apporterez-vous pas, pour la mener au but, 12
De vos dons naturels le précieux tribut ? 12
Aveugle qui ne voit en vous une puissance ! 12
L'homme, dans votre sein recevant la naissance, 12
315 Nourri de votre lait, bercé sur vos genoux, 12
Vous appartient : sur lui vous pouvez plus que nous ! 12
Femmes ! de nos foyers séduisantes sirènes, 12
Partout vous vouliez, être et vous étiez les reines ; 12
Et vous vous composiez une félicité 12
320 Des hommages flatteurs qu'attire la beauté. 12
Mais, dans l'heure sinistre où la patrie expire, 12
Honte à qui songe encore à ce frivole empire ! 12
Car de nouveaux devoirs, un rôle noble et saint 12
S'offre au cœur généreux qui bat dans votre sein : 12
325 C'est celui de panser d'une main attendrie 12
La blessure qui saigne au flanc de la patrie, 12
D'employer vos pouvoirs de mères et de sœurs 12
A lui trouver partout de vaillants défenseurs ! 12
D'abord, que votre cœur aille de-préférence 12
330 A ceux que vous saurez dignes fils de la France ! 12
Croyez-moi : votre amour, ce trésor précieux, 12
Ne doit point enrichir de vils ambitieux, 12
Ni les fades héros de la mode frivole : 12
Quand on le gagne ainsi, femmes, on vous le vole ! 12
335 Il appartient de droit aux hommes généreux 12
Qui pour le pays seul vivent, et non pour eux ! 12
Et ne redoutez rien d'une telle alliance : 12
Ils savent bien aimer, ces cœurs pleins de vaillance ! 12
Jeunes mères, plus tard, voyez dans votre enfant 12
340 Non ce vivant hochet que, d'un air triomphant, 12
Vous étalez partout dans des flots de dentelle, 12
Mais un futur soutien de la Mère immortelle ; 12
Et que, sur vos genoux, votre voix au doux son 12
Lui donne, du devoir, la première leçon ! 12
345 Né l'aimez pas pour vous : aimez-le pour la France ! 12
Et, quand vous caressez une chère espérance, 12
Au lieu de lui forger quelque avenir brillant, 12
Rêvez d'en faire un homme, un citoyen vaillant ! 12
Oui ! vous tous, qui voulez l’œuvre de délivrance, 12
350 Déversez votre cœur dans le cœur de la France ! 12
Dans ses veines, alors, le sang rouge affluera, 12
Et notre chère morte avant peu renaîtra ! 12
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