Métrique en Ligne
GRS_1/GRS29
corpus Pamela Puntel
Charles GRANDSARD
L'ANNÉE MAUDITE
1870-1871
1871
LE GRAND CRATÈRE
Mugis en liberté, vieux Vésuve ! Tes laves, 12
Qu'en tes flancs caverneux tu retenais esclaves, 12
Peuvent déployer leurs fureurs ! 8
Qui ! ta rage, à présent, nous paraît innocente, 12
5 Car l'univers a vu, dans une heure récente, 12
De plus magnifiques horreurs ! 8
Oui ! pâlis, vieux volcan ! Paris est un cratère 12
Bien autrement puissant que ton pic solitaire, 12
Et bien autrement meurtrier ! 8
10 Tes secousses ne font qu'ébranler tes rivages ; 12
Tandis que lui, durant ses colères sauvages, 12
Il fait bondir le monde entier ! 8
Oui ! Paris, c'est la cuve embrasée, infernale, 12
Où crépite la flamme, immense saturnale, 12
15 Lave humaine en convulsion, 8
Où sans fin, sans repos, se démène et bouillonne 12
Tout ce qui dans le fond de l'homme tourbillonne : 12
Désir, idée ou passion ! 8
A sa grande rumeur, des deux bouts de la terre, 12
20 L'étranger accourait, et sur le noir cratère 12
Longtemps se penchait, curieux ; 8
Alors ; l'effarement dilatait sa prunelle, 12
En voyant sous ses pieds la tempête éternelle 12
Secouer ses flots furieux ! 8
25 Une gerbe de flamme en montait vers la nue ; 12
Et la rouge clarté qui flambait, continue, 12
Illuminait le genre humain ; 8
Et celui-ci, perdu dans l'ombre qui l'effare, 12
A la fauve lueur du gigantesque phare 12
30 Pouvait poursuivre, son chemin ! 8
Mais naguère, du sein de l'éternel orage, 12
Unie clameur jaillit, si terrible de rage, 12
Que tout cœur d'homme se troubla ; 8
Et les grandes, cités aux solides murailles, 12
35 Bondirent sur le sol ; et, jusqu'en ses entrailles, 12
Le globe massif s'ébranla ! 8
Et la gerbe de feu, furieuse, agrandie, 12
Jaillissait dans l'espace ; et l'énorme incendie 12
Envahissait l'immensité ; 8
40 Et bientôt cette mer de flamme ruisselante 12
Projetait sa lueur terriblement sanglante 12
Sur l'univers épouvanté ! 8
Puis, ce fut un sabbat d'explosions tonnantes ; 12
Et des blocs monstrueux, aux formes étonnantes, 12
45 Dans l'air montaient, rouges, brûlants ; 8
Puis, à la fin, des flots de lave incandescente 12
Jaillirent, et, durant leur sinistre descente, 12
Du cratère embrasaient, les flancs ! 8
Et les peuples dormants, que le fracas éveille, 12
50 Blêmes, les yeux fixés sur l'horrible merveille, 12
Se demandent, tout haletants, 8
Si l'heure de la mort pour le monde est sonnée, 12
Et si cette bourrasque étrange, forcenée, 12
N'annonce pas la fin des temps ! 8
55 Puis, après deux longs mois, la fournaise enflammée 12
Tout à coup s'éteignit dans des flots de fumée 12
Et calma son âpre fureur ; 8
Et les peuples, bientôt, pâles, muets de crainte, 12
Accouraient, secouant la glaciale étreinte, 12
60 Contempler la sublime horreur ! 8
Effroyable tableau ! Le malheureux cratère, 12
A demi calciné, montrait, gisant à terre, 12
Son sommet rompu, fracassé ; 8
Et ses flancs, tout jonchés de lave mal éteinte, 12
65 Étalaient aux regards cette lugubre teinte, 12
Des lieux où la flamme a passé ! 8
Et ses hideux débris à tel point navraient l'âme, 12
Que nul ne trouvait plus un mouvement de blâme : 12
Tout faisait place à la stupeur ! 8
70 Et ceux qu'avaient glacés ses rages téméraires, 12
En voyant de plus près ces lambeaux funéraires, 12
Lui pardonnaient presque leur peur ! 8
Paris ! ville non moins folle qu'infortunée ! 12
Par le sort, à jamais, es-tu donc condamnée 12
75 Aux cris de rage comme aux pleurs ? 8
Et dois-tu, tour à tour, remplir la race humaine 12
D'horreur pour les forfaits que ta folie amène, 12
Et de pitié pour tes douleurs ? 8
Pour brider tes fureurs par un frein salutaire, 12
80 Faut-il donc, pour toujours, obstruer le cratère 12
D'où jaillirent tant de revers ? 8
Mais ton souffle de feu, comprimé par l'obstacle, 12
Pourrait, en éclatant, briser son réceptacle, 12
Et, du même coup, l'univers ! 8
85 Non ! rien, du grand Paris, ne peut étouffer l'âme ! 12
Eh bien ! ménageons-en la lumière et la flamme ! 12
Et qu'il soit, pour le genre humain, 8
Non l'incendie affreux dont la lueur l'effare, 12
Mais un flambeau puissant, un pacifique phare 12
90 Qui l'éclairé dans son chemin ! 8
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