Métrique en Ligne
GRS_1/GRS26
corpus Pamela Puntel
Charles GRANDSARD
L'ANNÉE MAUDITE
1870-1871
1871
A LA DOULEUR
Non ! je ne te hais pas, douleur ! Bien au contraire, 12
J'aime à sentir peser sur moi ta forte main ; 12
Car, dans le seul effort tenté pour m'y soustraire, 12
Je développe en moi tout ce que-j'ai d'humain ! 12
5 Tu ne ressembles pas à la liqueur traîtresse 12
Que le roi du banquet verse au dernier moment, 12
Et qui porte au cerveau la folie et l'ivresse, 12
Pour n'y laisser,, après, que l'abrutissement ! 12
Tu ressembles plutôt à cette drogue amère 12
10 Qu'on ordonne à l'enfant par la fièvre affaibli, 12
Et qu'il boit, en pleurant, sur l'ordre de sa mère, 12
Qui veille, douce et ferme, au chevet de son lit ! 12
Aussitôt qu'il a bu la potion cuisante 12
Il sent comme du feu dans ses veines courir ; 12
15 Puis, du breuvage noir la chaleur bienfaisante 12
Chasse au dehors le mal dont il allait mourir ! 12
Oui ! tu m'es un ami sévère, mais qui m'aime, 12
Et me dit, pour mon bien, de dures vérités ; 12
Tu me fais, malgré moi, plonger l’œil en moi-même, 12
20 Et fouiller, dans mon cœur, les plus secrets côtés ! 12
Tu me donnes un sens plus profond de la vie, 12
Où l’œil de l'homme heureux n'a jamais pénétré ; 12
Car, à tes dures lois en naissant asservie, 12
L'âme ne comprend rien avant' d'avoir pleuré ! 12
25 Tu me rends sympathique à la moindre souffrance 12
Qui vient, devant mes yeux, frapper un être humain, 12
Tandis que l'homme heureux, avec indifférence, 12
Passe auprès du malheur qu'il rencontre en chemin ! 12
A tes ardeurs je sens que mon âme se trempe, 12
30 Que ma fibre' durcit en mâle volonté ; 12
Quand l'heureux, par la vie, au lieu de marcher, rampe, 12
Énervé par la molle et lâche volupté ! 12
Ainsi, je te dois tout : plus claire intelligence, — 12
Faculté d'accomplir un vigoureux effort, 12
35 Pitié pour le malheur et la hâve indigence : 12
Tu m'as rendu meilleur, et plus sage, et plus fort ! 12
Mais il faut contre toi résister sans relâche, 12
Pour obtenir enfin tous ces dons précieux ; 12
Car d'un coup dédaigneux tu terrasses le lâche, 12
40 Tandis que le vaillant trouve grâce.à tes yeux ! 12
Ainsi,,dit la légende, aux âges de ténèbres, 12
Quand les magiciens évoquaient les esprits, 12
Ceux qui tremblaient.devant ces visiteurs funèbres 12
Étaient par eux, soudain, frappés, avec mépris ; 12
45 Mais celui qui, plus ferme et sentant sa puissance, 12
Sans changer de couleur, en face osait les voir, 12
Les spectres le servaient avec obéissance, 12
Et mettaient à ses pieds leur immense pouvoir ! 12
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