Métrique en Ligne
GRS_1/GRS25
corpus Pamela Puntel
Charles GRANDSARD
L'ANNÉE MAUDITE
1870-1871
1871
VIE ET MORT
I
Quand la nature veut entretenir la vie 12
Qui roule en nous, fleuve écumant, 8
La puissante alchimiste à son œuvre convie 12
Les forces de chaque élément. 8
5 Pour nourrir notre fibre, elle emprunte à la terre 12
Les fruits que son sein a conçus, 8
Aux animaux, le.sang qui leur gonfle l'artère, 12
Leur chair aux savoureux tissus. 8
Elle emprunte au soleil sa flamme qui ruisselle, 12
10 Fauve, à travers l'immensité, 8
Pour secouer nos corps au choc de l'étincelle 12
Que lance l'électricité. 8
Pour rendre à notre sang l'ardeur qu'il a perdue 12
Dans son impétueux ,courant, 8
15 Elle soutire à l'air qui remplit l'étendue 12
Son gaz subtil et dévorant. 8
Enfin, à l'eau des mers, comme à celle des sources, 12
Elle prend leur chaux et leur sel, 8
Et complète son œuvre, épuisant les ressources 12
20 Du grand bazar universel ! 8
Et tous ces éléments, la puissante sorcière 12
Les fond dans son creuset vital, 8
Et, mêlant ces fragments d'une vile poussière, 12
Elle en crée un noble métal. 8
25 Ce métal, c'est la chair colorée, éclatante 12
Comme la mûre du buisson, 8
Qui vibre au moindre souffle, et frémit, palpitante, 12
Dans un voluptueux frisson ! 8
La chair au galbe riche et pulpeux, que sillonne 12
30 Un léger réseau bleuissant, 8
La chair humide et chaude, où roule et tourbillonne 12
La vie avec un flot de sang ! 8
Mais elle veut surtout, la grande vie intense, 12
L'accord de tous ces éléments : 8
35 Chacun n'est, pris à part, qu'une aveugle substance, 12
Inféconde en ses mouvements. 8
Or, quand se lasse, un jour, cette main souveraine 12
Qui les fondait en une chair, 8
Chacun d'eux, libre enfin, veut aller où l'entraîne 12
40 Son penchant primitif et cher. 8
Impatients du joug qui pliait leur nature 12
Au grand dessein prémédité, 8
Ils veulent dans l'espace errer à l'aventure, 12
Dans leur sauvage liberté ! 8
45 L'étincelle ravie à la brûlante sphère 12
Y remonte à travers les airs ; 8
Les gaz, s'éparpillant dans l'immense atmosphère, 12
Regagnent leurs vagues déserts. 8
Les liquides, plongeant dans le sein de la terre, 12
50 En vont humecter les bas-fonds ; 8
Les sels vont, dans l'humus, poursuivre le mystère 12
De leurs amalgames profonds. 8
Et la chair, dépouillant sa nuance rosée. 12
Rapidement s'altère aux yeux, 8
55 Devient livide, et puis noire, décomposée 12
Par ce travail silencieux. 8
Ses éléments disjoints, de leur odeur putride, 12
Effarouchent notre odorat ; 8
Il n'en reste bientôt qu'un peu de poudre aride, 12
60 Qui lentement disparaîtra ! 8
II
Ainsi, dans l'univers quand se fonde un empire, 12
Suivant un éternel dessein, 8
Pour soutenir sa vie et pour croître, il aspire 12
Tout élément robuste et sain. 8
65 Ces éléments vitaux, c'est tout ce que renferme 12
L'âme et le cœur des citoyens ; 8
C'est leur ardent amour ; c'est leur volonté ferme 12
De le servir par tous moyens, 8
Ce flot de volontés, qui roule et qui bouillonne 12
70 Des membres au cœur languissant, 8
Y porte la vigueur, l'échauffe et l'aiguillonne 12
Comme les flots rouges du sang ! 8
Dans son reflux, alors, là pléthore vitale 12
Retourne aux membres surnourris ; 8
75 Et sur le corps entier, de la santé s'étale 12
Le chaud et brillant coloris. 8
Et le colosse, alors, atteint dans sa croissance 12
L'âge de la virilité ; 8
Et ses muscles d'acier démontrent sa puissance, 12
80 Et font sa splendide beauté ! 8
Et toutes ses humeurs, dans leur juste équilibre, 12
Le rendent sain et florissant ; 8
Et son vaste poumon, d'un jeu facile et libre, 12
Se meut dans son torse puissant ! 8
85 Si d'un mal de rencontre il ressent quelque crise, 12
Il la franchit, ferme, indompté ; 8
Des plus acres douleurs l'assaut vaincu se brise 12
Contre sa robuste santé ! 8
Et si quelque adversaire ose, dans sa démence, 12
90 Jeter au colosse le gant, 8
Du plus léger effort de sa vigueur immense 12
Il brise à ses pieds l'arrogant ! 8
Mais, le jour où ce flot de volontés fondues 12
Se porte au centre avec langueur, 8
95 Quand elles ont cessé d'être vers lui tendues 12
Pour entretenir sa vigueur, 8
Quand tous ces éléments qui forment sa substance 12
Entre eux ont rompu tout lien, 8
Que chacun, s'isolant dans sa propre existence, 12
100 Cherche son égoïste bien. 8
Tous les signes hideux de la décrépitude 12
Éclatent sur ce corps géant ; ' 8
Et ceux qui, de le craindre, avaient pris l'habitude, 12
Insultent ce prochain néant ! 8
105 Et sa chair a perdu cette couleur vitale 12
Qui jadis la fit resplendir ; 8
La putréfaction, de sa teinte fatale, 12
Vient la souiller et l'enlaidir ! 8
Indices des dégâts que font dans ses viscères 12
110 Tous ses atomes en discords, 8
Les vices monstrueux, ces fétides ulcères, 12
S'étalent partout sur son corps ! 8
Puis, ses chairs, s'égrenant, se fondent, se séparent 12
En lambeaux visqueux et flétris 8
115 Qui révoltent la vue ; et les vers s'en emparent 12
Et rongent ces hideux débris ! 8
Puis, à sa place, on voit des ruines, poussière 12
De tout empire évanoui ; 8
Et l'étranger qui passe écrit sur une pierre : 12
120 « Un peuple, ici, dort enfoui ! » 8
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