Métrique en Ligne
GRS_1/GRS12
corpus Pamela Puntel
Charles GRANDSARD
L'ANNÉE MAUDITE
1870-1871
1871
LA GRANDE MENDIANTE
Voyez-moi, passants : je fus reine, 8
Et je l'étais encore hier ; 8
Sous ma volonté souveraine 8
Se courbait le front le plus fier. 8
5 Mais, manteau royal et couronne, 8
En un seul jour j'ai tout perdu ; 8
Mon corps, par les douleurs tordu, 8
D'un haillon flétri s'environne ! 8
Vous qui passez par le chemin, 8
10 Donnez-moi : je vous tends la main ! 8
Jadis, je fus riche et prodigue ! 8
L'argent sous mes pas ruisselait ; 8
Et, comme une eau rompant sa digue, 8
L'or jaune entre mes doigts coulait. 8
15 Et maintenant, triste symbole 8
Du peu que valent nos grandeurs, 8
Aux passants distraits ou grondeurs 8
Je mendie une vile obole ! 8
Vous qui passez par le chemin, 8
20 Donnez-moi : je vous tends la main ! 8
Toute graine ici-bas semée 8
Croissait dans mes champs toujours verts ; 8
Et, de leur sève parfumée, 8
Mes ceps abreuvaient l'univers. 8
25 Mais les canons, sous leurs mitrailles, 8
Et, sous leurs pas, les bataillons 8
Ont broyé mes riches sillons… 8
Et la faim me mord les entrailles ! 8
Vous qui passez par le chemin, 8
30 Donnez-moi : je vous tends la main ! 8
J'avais des fils nobles et braves ; 8
A tout vent flottaient leurs drapeaux ; 8
Du faible brisant les entraves, 8
Ils allaient, luttaient sans repos. 8
35 Mais maintenant, eux et leur gloire, 8
Vous les verriez, en regardant 8
Sous la poussière de Sedan 8
Et sous les vagues de la Loire ! 8
Vous qui passez par' le chemin, 8
40 Donnez-moi : je vous tends la main ! 8
Aussi, ceux qui m'ont enviée 8
Quand j'avais mes braves enfants, 8
En me voyant humiliée 8
Sont tout fiers et tout triomphants ; 8
45 Tel, qui blêmissait de détresse 8
Au bruit de leur clairon lointain, 8
Jette à présent un œil hautain 8
Sur la triste et morne pauvresse ! 8
Vous qui passez par le chemin, 8
50 Donnez-moi : je vous tends la main ! 8
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