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corpus Pamela Puntel
Émile GRIMAUD
REVUE DE BRETAGNE ET DE VENDÉE
QUATORZIÈME ANNÉE
TROISIÈME SÉRIE — TOME VIII
1870
Décembre 1870
LE FILS D'UN PREUX
I
Jadis, en d'heureux jours de loisir et de calme, 12
Ma muse vendéenne attachait une palme 12
Au tombeau de Bonchamps : 6
J'osais, après David, l'immortel statuaire, 12
5 Dont le marbre palpite au fond du sanctuaire, 12
Offrir mes humbles chants. 6
— Du souffle de ce siècle ayant subi l'atteinte , 12
La race du héros, pensais-je, est bien éteinte : 12
Couvrons-la du linceul. 6
10 Le preux dans ses enfants ne s'en va point revivre ; 12
Au sentier du martyre en est-il un pour suivre 12
La trace de l'aïeul ? 6
Et d'un œil attristé je comparais entre elles 12
Ces vigueurs d'autrefois et nos faiblesses grêles ; 12
15 Entre eux, géants et nains. 6
Autrefois, l'âme était à son Dieu tout entière ; 12
L'âme n'enfante pas, livrée à la matière, 12
Les actes surhumains. 6
Oui, rions des anciens disant : « Noblesse oblige. » 12
20 La noblesse, aujourd'hui, c'est d'être l'homme lige 12
Des moins nobles désirs : 6
Le vice nous saisit dès le sein de nos mères ; 12
Devoir, vaillance, honneur, — mots sonores, chimères !… 12
Des plaisirs ! des plaisirs !… 6
25 Un grand fleuve roulait des ondes débordantes, 12
Paisibles par moments et par moments grondantes, 12
Toujours belles à voir… 6
Que sort-il à présent de l'urne intarissable ? 12
Un ruisseau si chétif, qu'à peine entre le sable 12
30 On l'entend se mouvoir. 6
Plus d'arbres sur ses bords, d'essences vigoureuses, 12
Baignant dans sa fraîcheur leurs racines heureuses, 12
D'herbes ni de moissons ; 6
Les troupeaux ont quitté ses arides prairies, 12
35 Et l'oiseau cherche, loin de ses branches flétries, 12
L'ombre pour ses chansons. 6
Mais quel est ce prodige ? et quelle main féconde 12
De la source épuisée a fait remonter l'onde 12
A l'antique niveau ? 6
40 Demandons leur secret à la nue, à l'orage : 12
Pareille est la grandeur du fleuve d'un autre âge 12
Et du fleuve nouveau. 6
II
Un homme parmi nous portait l'honneur insigne 12
D'être issu de ce cœur que garde Saint-Florent. 12
45 Sur son berceau brillait un favorable signe : 12
Ensemble il y trouva gloire, biens, noble rang. 12
Ses biens, il en faisait aux pauvres le partage ; 12
Son rang, en gentilhomme il le savait tenir ; 12
Mais il jugeait la gloire un pesant héritage, 12
50 Couronne que ses mains ne pouvaient rajeunir. 12
Car ses mains par le sort demeuraient enchainées : 12
L'ouragan qui brisa le trône de ses rois, 12
Brisa du même coup ses propres destinées ; 12
En France il n'avait plus qu'un seul culte, — la Croix ! 12
55 Bras inutile à ceux que servaient ses ancêtres, 12
Son âme s'attachait comme un lierre à la leur ; 12
Son corps vivait ici, son cœur, avec ses maîtres : 12
Il était — quel beau nom ! — courtisan du malheur. 12
Ses cheveux, s'argentant, annonçaient la vieillesse : 12
60 « Marchez jusqu'à la mort, disait-il, ô mes fils, 12
» En ce chemin d'exil que la foule délaisse ; 12
» Méprisant le succès, faites ce que je fis. » 12
III
L'Empire tout à coup s'effondre dans la fange, 12
Nous livrant aux Germains, nous, nos villes, nos champs… 12
65 De Charette aussitôt l'invincible phalange 12
Vous accueille, joyeuse, héritiers de Bonchamps. 12
L'heureux , le châtelain, le père de famille, 12
Décrochant des aïeux le vieux glaive rouillé, 12
Au feu mène et son fils, et l'époux de sa fille : 12
70 Ils feront voir qu'il est encore des Bouillé. 12
Le flot barbare accourt, que rien ne peut suspendre, 12
Ravageant et souillant la grande nation ! 12
Pour un sang généreux, brûlant de se répandre, 12
Ah ! sera-t-il jamais si sainte occasion ? 12
IV
75 Le soleil d'Austerlitz, émergeant des ténèbres, 12
Nous rend le jour, funèbre entre les plus funèbres, 12
Du hideux Coup d'État. 6
Rachetez-le, Bretons, à force de vaillance, 12
Ce jour, où nous avons, mortelle défaillance ! 12
80 Voulu cet attentat. 6
— La lutte avait longtemps sévi. Devant l'armée, 12
Par un valeureux chef, par Sonis animée, 12
L'ennemi s'enfuyait, 6
Et pour nous la victoire allait pencher sans doute ; 12
85 Mais, à l'abri d'un bois, tonnait une redoute, 12
Et son feu nous broyait. 6
De Sonis sous l'azur étincelle le glaive : 12
« Sur ces pièces fondons, amis ! qu'on les enlève ! 12
» Baïonnette en avant ! » 6
90 Ils les appelle en vain, en vain il les excite : 12
Eux, reculent, tremblant, dans leur terreur subite, 12
Plus que la feuille au vent. 6
L'âme de désespoir et de rage inondée, 12
Le général vers vous, enfants de la Vendée, 12
95 Fait voler son cheval : 6
« Venez, venez, ô vous que nul effroi n'arrête, 12
» Montrer comment on meurt ! » –– « Allons ! » leur dit Charette. 12
Ils traversent le val. 6
Le regard plein de flamme et le cœur plein de force, 12
100 Un contre cinq, ils vont, sans brûler une amorce, 12
Ces sublimes soldats ! 6
Combien sont-ils ? Trois cents, criblés de projectiles ; 12
Spartiates nouveaux, conduits aux Thermopyles, 12
Par deux Léonidas ! 6
105 La mitraille, qui pleut du front de la colline, 12
Abat Sonis, abat Charette qui s'incline 12
Pour lui tendre la main. 6
Les zouaves ont vu fléchir les deux victimes ; 12
Ils s'arrêtent : Non ! non ! disent ces magnanimes, 12
110 » Allez votre chemin ! » 6
Et la douleur accroît, s'il se peut, leur furie : 12
Sur les canons éteints quelle horrible tûrie ! 12
Quels coups et quels efforts ! 6
Sougy ! combien de bras qui laissent choir la crosse ! 12
115 Kersabiec, Cazenove, Houdet, Mauduit, La Brosse, 12
Gisent blessés ou morts ! 6
Et le clairon résonne, enthousiasmant l'âme ; 12
Et le Sacré-cœur luit sur la blanche oriflamme , 12
Que soutient Traversey. 6
120 Il tombe ; Bouillé prend l'étendard et l'emporte, 12
En poussant un hourrah de sa voix la plus forte… 12
Mais il s'est affaissé. 6
Et vers Jacques soudain voici bondir son père, 12
Frissonnant, l’œil en feu, tel que de son repaire 12
125 Bondirait un lion. 6
Croyez-vous que de pleurs sa paupière se trempe ?… 12
La patrie avant tout : il enlève ta hampe, 12
Glorieux fanion ! 6
Et, pendant que son fils saigne et râle sur l'herbe , 12
130 Il dresse haut dans l'air, par un geste superbe, 12
Le drapeau qu'il défend. 6
Hélas ! un coup le frappe, il s'affaisse lui-même, 12
En soupirant : « Jésus ! » non loin de ceux qu'il aime, 12
— Son gendre et son enfant !… 6
V
135 Ah ! tressaillez d'orgueil, croisés, race loyale, 12
Dont le sang empourpra la bannière royale 12
Et le divin tombeau : 6
Des rives du Jourdain aux rives de la Loire, 12
Le Ciel éclaira-t-il, parmi vos jours de gloire, 12
140 Un autre jour plus beau ? 6
Le poète, qui suit du cœur cette bataille, 12
Des géants de Vendée a reconnu la taille, 12
Et son œil s'est mouillé ! 6
L'Histoire ouvre son livre aux feuillets d'or des braves, 12
145 Et réunit vos noms, martyr saint, fiers zouaves, 12
O Bonchamps ! ô Bouillé ! 6
ÉMILE GRIMAUD.
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