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GRI_1/GRI4
corpus Pamela Puntel
Émile GRIMAUD
REVUE DE BRETAGNE ET DE VENDÉE
QUATORZIÈME ANNÉE
TROISIÈME SÉRIE — TOME VIII
1870
Octobre 1870
A VICTOR DE LAPRADE
I
Aux échos du Forez je prête en vain l'oreille : 12
Aucun d'eux ne répète ou ta voix ou ton pas. 12
Dans ces jours de malheur que fait notre Corneille ? 12
Laprade, es-tu donc mort que tu ne chantes pas ? 12
5 La stupeur a glacé ton âme… elle s'est tue. 12
Le silence convient à de telles douleurs ! 12
Toute âme de Français d'abord fut abattue ; 12
Mais on ne sauve pas la France avec des pleurs. 12
Levons-nous ! Que chacun bondisse vers ses armes : 12
10 Au soldat le fusil, au poète le vers 12
Que l' un frappe en héros, tandis qu'avec nos larmes 12
L'autre pétrit un chant, vengeur de nos revers. 12
Ce chant, qui va doubler la belliqueuse rage 12
D'un grand peuple trahi qui veut être vainqueur, 12
15 Si beau, qu'on l'entendra résonner d'âge en âge, 12
O barde ! ô citoyen ! trouve-le dans ton cœur ! 12
En un cri fais vibrer notre angoisse infinie ! 12
Pareil au flot de lave et qui gronde et qui bout, 12
En un sublime jet fais jaillir ton génie, 12
20 Tyrtée ! et qu'à ta voix la France soit debout ! 12
II
« Cher ami, vos nobles vers me vont au cœur,
et je vous dois l'explication de mon silence… »
VICTOR DE LAPRADE.
Ainsi donc, ô maître, poëte, 8
Ta bouche veut rester muette, 8
Un triple sceau va la sceller ; 8
Ainsi, cette voix mâle , ou vibre 8
25 Un cœur si pur, si chaud, si libre, 8
Rien ne saurait la réveiller ! 8
Tu me dis : « Mon âme est éteinte ! 8
» Le coup dont la France est atteinte 8
» Me brise et l'esprit et le corps ; 8
30 » Ce grand cataclysme m'écrase : 8
» Plus d'ardeur en moi, plus d'extase, 8
» Plus de lyre aux fermes accords. 8
» Oui, c'en est fait de notre France ! 8
» A son chevet , veuf d'espérance, 8
35 » Je m'assieds, sanglotant tout bas, 8
» Et je baise sa main bénie, 8
» Que glace déjà l'agonie… 8
» Oh ! non, je ne chanterai pas ! 8
» Celui-là peut chanter sans honte 8
40 » Qui, soldat intrépide, affronte 8
» La baïonnette et le canon : 8
» Pendant que la mitraille tonne 8
» Défi strident, Tyrtée entonne 8
» L'hymne où, lui mort, vivra son nom. 8
45 » Bras impuissant, je dois me taire, 8
» Moi, qui de la vieillesse austère 8
» Sur mon front sens le doigt peser, 8
» Et qui dévore cet outrage 8
» D'être tout débordant de rage, 8
50 » Et contraint de me reposer !… » 8
Moi, je dis : Le front d'où naguère 8
Sortait cette idylle de guerre, 8
Puisée aux eaux vives du beau, 8
Toi seul le crois pris de faiblesse 8
55 Et refroidi par la vieillesse ; 8
Toi seul crois pâli ton flambeau. 8
Eh quoi ! nous verrions, noble maître, 8
Ton vaillant esprit se soumettre 8
Aux étreintes du désespoir ! 8
60 Que ferons-nous donc, nous, pygmées, 8
Si les âmes les mieux armées 8
A terre ainsi se laissent choir ? 8
Ah ! je récuse ta parole : 8
Non ! il n'est pas fini le rôle 8
65 Que Dieu nous assigne ici-bas ; 8
Pour effacer nos flétrissures, 8
Le sang coule à pleines blessures : 8
Dieu nous retrempe en ces combats ! 8
Non ! ce n'est pas un jeu futile , 8
70 Une bulle d'air inutile, 8
Le chant qui peut rendre vainqueur. 8
Clairon magique, il n'est personne, 8
A l'heure où l'hymne guerrier sonne, 8
Qui, jusqu'au lâche, n'ait du cœur. 8
75 A l’œuvre donc, je t'en conjure ! 8
Inspire-toi de notre injure, 8
De tant de maux, de tant d'excès ; 8
Frappe, invective, pleure, prie ; 8
Sois fier, sois grand : sois la Patrie !… 8
80 Aide à sauver le nom français ! 8
ÉMILE GRIMAUD.
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