Métrique en Ligne
GRA_1/GRA8
Ferdinand de GRAMONT
SEXTINES
1872
SEXTINE VIII.
LA PAROLE DES BOIS.
Oui, j'aimais dans les bois à retrouver ma trace. 12
Je voyais, repassant par le même chemin, 12
Les saisons de plus près m'y découvrir leur face. 12
Les arbres et les fleurs dont je savais la place 12
5 Semblaient me reconnaître et me dire : A demain. 12
Le sol prenait pour moi quelque chose d'humain. 12
O nature, toujours si douce au cœur humain, 12
De quels moments bénis tu me gardes la trace ! 12
Mais parle-moi d'hier ; que m'importe demain ! 12
10 Bien des fois tu m'as vu parcourir ce chemin ; 12
Bien des fois je me suis assis à cette place, 12
T'écoutant me parler ainsi que face à face. 12
Entretien bienfaisant ! L'ombre que sur ma face 12
Avait fait s'amasser le froissement humain 12
15 S'éclaircissait ; bientôt je sentais à la place 12
S'imprimer ton sourire en lumineuse trace. 12
Insoucieux du but, Je suivais mon chemin. 12
Ce jour me suffisait et j'oubliais demain. 12
Menace plus souvent qu'espérance, demain 12
20 C'est le spectre importun dont la douteuse face, 12
Oscillant au milieu des rêves du chemin, 12
Aux vulgaires ennuis rappelle l'être humain. 12
Ah ! plutôt, hors du monde encor sur votre trace, 12
Souvenirs vagabonds, souffrez que je me place ! 12
25 Je l'avais bien compris, c'était ici ma place. 12
Ces grands bois qui toujours ont même lendemain, 12
Ces sentiers où les pas ne laissent qu'une trace 12
Insensible, cet air qui vous souffle à la face 12
Son arôme épuré de tout miasme humain, 12
30 Voilà ce qui m'eût fait un facile chemin. 12
Il a fallu pourtant le quitter ce chemin, 12
Vivre dépaysé, triste, hors de ma place, 12
Souffrir incessamment du voisinage humain 12
Tel qu'en nos jours il est, en pensant que demain 12
35 J'aurais mêmes ennuis, mêmes dégoûts en face, 12
Sans pouvoir retourner à mon ancienne trace. 12
O trace misérable, obscur et dur chemin 12
Où, la face vieillie, un sort jaloux me place, 12
Puisse demain finir cet exil inhumain ! 12
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