Métrique en Ligne
GRA_1/GRA5
Ferdinand de GRAMONT
SEXTINES
1872
SEXTINE V.
LES DEUX FIANCÉES.
On disait que l'amour n'était pas éternel, 12
Que mon âme oublîrait sa pâle fiancée ! 12
L'abeille, ranimée au regard d'un beau ciel, 12
Sur d'autres seins de fleurs retrouve un nouveau miel 12
5 Mais, dans les champs amers où tourne ma pensée, 12
Rien ne peut adoucir ma tristesse insensée. 12
J'ai bien vu dès l'abord qu'elle était insensée 12
Cette dévotion qui, d'un hymne éternel 12
Étourdissant mon âme et glaçant ma pensée, 12
10 N'exaltait qu'une idole, indigne fiancée 12
Dont la bouche m'était meilleure que le miel, 12
Et les yeux plus divins, plus puissants que le ciel 12
Cette bouche pourtant était froide, et du ciel 12
Ces beaux yeux n'avaient rien que l'azur. Insensée, 12
15 Mon âme en amertume a changé tout son miel. 12
Et peut-être vivra dans un trouble éternel 12
Pour avoir abdiqué, pour s'être fiancée 12
A ce marbre infécond sans souffle ni pensée. 12
Tout le jour cependant présente à ma pensée, 12
20 Quand la nuit, se taisant, règne au faîte du ciel. 12
Si je m'endors enfin, la morne fiancée, 12
Lentement se baissant vers ma couche insensée. 12
Tient mon sein éveillé de son poids éternel. 12
Loin sont les doux sommeils et les songes de miel ! 12
25 Oh ! sous des cheveux blonds, chaste ruisseau de miel, 12
Ce front charmant aux yeux, charmant à la pensée, 12
Et ces lèvres que dore un sourire éternel, 12
Ces yeux purs où toujours on voit s'ouvrir le ciel ! 12
Hélas ! vous avez fui de ma route insensée, 12
30 De mon premier désir ô vierge fiancée ! 12
Et quand le sort cruel donna pour fiancée 12
A mon désir, jadis épris d'un autre miel, 12
Donna, pour le railler, une image insensée. 12
Rien n'en peut détourner ni guérir ma pensée. 12
35 Par ce spectre jaloux qui me cache le ciel 12
Ma vie est condamnée au veuvage éternel ! 12
De l'éternel désir suprême fiancée, 12
O Mort, le ciel te rend plus douce que le miel 12
Pour ma pensée encor plus lasse qu'insensée. 12
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