Métrique en Ligne
GLA_1/GLA5
Albert GLATIGNY
Le Fer rouge
1870
V
LAON
Il est des villes qui sont fières 8
De se changer en cimetières 8
Plutôt que de voir outrager 8
Leurs foyers, leurs maisons, leurs rues, 8
5 Et leurs morts, ombres apparues 8
Terribles devant l'étranger ! 8
Elles n'ont qu'un mot : résistance ! 8
Elles donnent leur existence 8
Stoïquement et gravement ; 8
10 La grande âme de la patrie 8
Vit dans leur enceinte inflétrie, 8
Et chante sur le sol fumant. 8
C'est Strasbourg calme sous les bombes 8
Qui chaque jour ouvrant des tombes, 8
15 Passent foudroyantes dans l'air ; 8
Noble cité qui se résigne 8
À la mort, et veut rester digne 8
De ses fils, Ulrich et Kléber ! 8
C'est Toul, c'est Phalsbourg et Mézières 8
20 Qu'entourent de rouges lisières 8
Faites de mitraille et d'obus ; 8
C'est Montmédy, c'est Metz qui raille, 8
Du haut de sa forte muraille, 8
Les prussiens déjà fourbus. 8
25 Elles veulent bien disparaître, 8
Mais non pas laisser un nom traître. 8
Elles sont hautaines. Leur front 8
Indomptable auquel l'atmosphère 8
Fait une couronne, préfère 8
30 Les cicatrices à l'affront. 8
Elles sont l'honneur et l'exemple 8
De l'univers qui les contemple. 8
Leur sang, qu'il est pur et vermeil ! 8
Coule par de noires blessures, 8
35 Mais leur joue est sans flétrissures, 8
Mais leurs yeux sont pleins de soleil. 8
Elles protégent, ces pucelles, 8
La terre sacrée, entre celles 8
Dont le nom veut dire grandeur. 8
40 Aux loups du nord, pleins de cyniques 8
Appétits, leurs blanches tuniques 8
Imposent encor la pudeur. 8
Ô villes saintes, ô martyres ! 8
Vous dont les suaves sourires 8
45 Font baisser les yeux aux bourreaux, 8
Oh ! Quel pieux pèlerinage 8
Le monde fera, d'âge en âge, 8
Chez vous, nourrices de héros ! 8
Mais à côté de ces guerrières, 8
50 Il est d'autres villes moins fières, 8
Bourgeoises dont l'unique plan 8
Est de vivre en paix dans la honte, 8
Et de lécher la main qui dompte : 8
N'est-ce pas, ô cité de Laon ? 8
55 Bah ! Que t'importe l'infamie, 8
Pourvu qu'on te laisse endormie 8
Dans ton égoïsme ouaté ! 8
La gloire, quelquefois, ça coûte, 8
Et c'est du sang qu'il en dégoutte ; 8
60 C'est pénible, la liberté. 8
Pourquoi ne pas vivre à son aise, 8
Loin du bruit et de la fournaise ? 8
À quoi bon se brûler au feu ? 8
L'ennemi n'est pas si farouche ; 8
65 Il veut s'étendre dans ta couche, 8
Pourquoi l'en empêcher, bon dieu ! 8
Laon est une fille publique 8
Qui veut bien rire, et ne s'explique 8
Nul de ces refus violents 8
70 Que d'autres villes font entendre. 8
Enfin, puisqu'elle veut bien tendre 8
Sa lèvre aux baisers des uhlans ! 8
Ça l'irrite qu'on la défende, 8
Cette catin ; elle appréhende 8
75 Les gros mots de son prussien. 8
Il pourrait la battre. Eh ! Qu'a-t-elle 8
Donc à risquer ? Sa fange est telle, 8
Qu'elle n'a plus d'honneur ancien. 8
Ville prudente, ville infâme, 8
80 Ah ! Ville sans cœur et sans âme ! 8
J'espère qu'on va te rayer 8
Du nombre des cités de France ; 8
Puisque tu mens à l'espérance, 8
Que tu ne sais que t'effrayer, 8
85 Que ta citadelle écroulée 8
Atteste, sombre et désolée, 8
Qu'au moins un français était là, 8
Qui n'acceptant point ta défaite, 8
Se fit de la mort une fête, 8
90 Le jour où Laon capitula ; 8
Et que désormais, sur ta joie, 8
Sur ta paix hideuse, l'on voie, 8
Terrible, la foudre à la main, 8
Crachant sur ta lâcheté blême 8
95 Un flot de cendre et d'anathême, 8
Le froid justicier Thérémin… 8
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