Métrique en Ligne
GLA_1/GLA18
Albert GLATIGNY
Le Fer rouge
1870
XVIII
AUX PAYSANS DE L'EURE
Sache-le, paysan, la terre 8
Que tu vois n'est pas seulement 8
La matrice où, dans le mystère, 8
Germe la vie en pur froment. 8
5 Ce n'est pas seulement de l'orge 8
Du trèfle pour tes bestiaux, 8
Ou du minerai pour ta forge, 8
Du bois pour tes matériaux. 8
C'est mieux encor, c'est la patrie, 8
10 La patrie, entends-tu ? Le sol 8
D'où vers la lumière fleurie 8
L'âme immortelle prend son vol. 8
C'est la tombe verte où ton père 8
Ne se sent pas abandonné ; 8
15 Le lieu saint qui te dit : espère ! 8
Le berceau de ton premier né ! 8
Ô paysan de Normandie ! 8
Te faut-il répéter cela, 8
Fils de Rollon, race hardie 8
20 Que toute aventure appela ? 8
Prends ton fusil, entre en campagne, 8
Dépouille les doutes amers, 8
Toi qui fis trembler Charlemagne, 8
Ô mon vieil écumeur de mers ! 8
25 Le prussien hurle à ta porte, 8
Prends ton fusil. Ne reste pas, 8
Comme si ton âme était morte, 8
Inerte et te croisant les bras. 8
Prends ton fusil, saisis ta fourche ! 8
30 Derrière les bois, les récifs, 8
Embusque-toi ! Sois brave ; enfourche 8
Ton vieux cheval aux reins massifs. 8
Ô paysan ! Tu m'épouvantes ; 8
Est-ce que tu n'as plus de cœur ? 8
35 Ainsi que les pâles servantes, 8
Ne sais-tu que blêmir de peur ? 8
À l'heure où la France oppressée 8
Lutte avec les cieux pour témoins, 8
Tu sembles n'avoir de pensée 8
40 Que pour ton bétail et tes foins. 8
Ah ! Pauvre brute de l'empire, 8
Réveille-toi ! Ne sens-tu pas 8
Que c'est l'heure où chacun respire 8
L'air enflammé des grands combats ? 8
45 Ah ! Par pitié pour toi, secoue 8
Cet horrible engourdissement, 8
Qu'un peu de sang monte à ta joue, 8
Le reste du pur sang normand ! 8
Rien qu'à ton aspect, on ricane ; 8
50 On dit : « Il n'est bon, à présent, 8
Qu'aux batailles de la chicane, 8
Ce gars narquois, au bras pesant. 8
Pourvu qu'il vende et qu'il trafique, 8
Il trouve tout bien. Il est doux. 8
55 C'est un bonhomme pacifique 8
Qui ne s'expose point aux coups. 8
Que l'auguste France périsse, 8
Pâle, dans les plis du drapeau, 8
Bah ! Qu'importe à son avarice ! 8
60 Il dort tranquille dans sa peau. » 8
Voilà ce que l'on dit, ô honte ! 8
Dis qu'on a menti. Prouve-nous 8
Que ta main est solide et prompte 8
À servir un mâle courroux. 8
65 Trop longtemps, machine rustique 8
Aux mains du maire et du curé, 8
Dans l'obéissance gothique, 8
Ô paysan ! Tu t'es muré. 8
Sois homme, enfin ! Ouvre ton être 8
70 Aux libres aspirations. 8
Le clair soleil vient de renaître, 8
Répudîras-tu ses rayons ? 8
Culbutant les troupeaux serviles 8
Guidés par Tropmann empereur, 8
75 Ton frère, l'ouvrier des villes, 8
T'enseigne la sainte fureur. 8
Vois donc un peu comme il bouscule 8
Ce trône qui t'éblouissait, 8
Comment il peut, nouvel Hercule, 8
80 Dire au crime : « qu'est-ce que c'est ? » 8
Comment, au poltron qui lui montre 8
Le toit paisible où l'on s'endort 8
À l'abri de toute rencontre, 8
Il dit : « Être libre d'abord ! » 8
85 Allons donc, paysan, aux armes ! 8
Assez de regrets superflus. 8
Des plaintes encore ? Des larmes ? 8
Mais les femmes n'en veulent plus ! 8
Rachète ta lâche inertie, 8
90 Tes votes honteux, la torpeur 8
Qui te faisait voir un messie 8
Dans l'épouvantable trompeur, 8
Dans cet immonde Bonaparte 8
Qui maintenant porte à son cou, 8
95 En gros traits, sur une pancarte, 8
L'arrêt qui le sacre filou ! 8
Allons, aux armes ! L'heure presse. 8
L'ennemi gronde. Il faut agir. 8
Devant la France qui se dresse 8
100 Il faut n'avoir pas à rougir ! 8
Et si la terre mal fumée 8
Pendant un mois, se plaint, eh bien ! 8
À cette robuste affamée, 8
Donne du guano prussien ! 8
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