Métrique en Ligne
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Charles GILL
Le Cap Éternité
1919
LES ÉTOILES FILANTES
Du blanc, de l’azur et du rose
Pour orner l’or fin de son médaillon. 10
Grand’mère demande un portrait de Rose, 10
Mais la belle enfant, moins qu’un papillon 10
Nous ferait l’honneur d’un semblant de pose 10
5 Puisque j’ai garni ma palette en vain, 10
Je voudrais, aux sons berceurs de la lyre, 10
Le front inspiré par l’art souverain, 10
En des strophes d’or chanter son sourire. 10
Et ma plume, hélas ! ne saurait fixer 10
10 Ces traits dont l’image en mon âme reste. 10
Car mon style obscur ne peut enchâsser 10
Dans le verbe humain la beauté céleste. 10
Non ! pour réussir en vers ce portrait, 10
Pour prêter la vie à ce frais mélange 10
15 De pureté rose et blanche, il faudrait 10
Une plume prise à l’aile d’un ange. 10
* * *
Bonne grand’maman, si vous voulez voir 10
Votre Rose peinte, à l’heure où le soir 10
Avec le sommeil descend sur la Terre, 10
20 Dites-lui ceci : — « Ferme ta paupière 10
Et ne bouge plus, comme si dodo 10
Sur tes jolis yeux mettait son bandeau. 10
Te voyant ainsi, plus faible et plus belle, 10
Sur toi ton bon ange étendra son aile 10
25 Toute grande, afin de te garder mieux 10
Contre l’Esprit noir et mystérieux. 10
Lors, en tapinois, sans bruit et bien vite, 10
Dérobe au satin léger qui t’abrite 10
Une plume… Prends ! sans peur d’offenser 10
30 Ton aîné du Ciel ; on ne peut blesser 10
Les anges qu’au cœur : ils n’ont de la peine 10
Au fond de leur âme auguste et sereine, 10
Que si leurs amis les petits enfants 10
Ont de gros chagrins ou font les méchants… 10
35 Mets le blanc trésor sous la blanche toile 10
De ton oreiller : un rayon d’étoile 10
Viendrait le chercher. Ce que tu voudras, 10
Avec ce joyau demain tu l’auras… 10
Bonne nuit !… Ton ange attend ta prière. 10
40 Avant de dormir, ferme ta paupière. » 10
* * *
Dans le tiède nid de son doux sommeil, 10
Si Rose demain retrouve, au réveil, 10
La plume arrachée à l’aile divine 10
Sur laquelle un flot de rosée en pleurs 10
45 Mêle des éclats perlés aux pâleurs 10
De la noble hermine, 5
Toutes ces clartés pour vous décriront 10
Les neiges du cœur, le marbre du front, 10
Et la gamme blanche égrenant ses notes 10
50 Sur le col de cygne où la pureté 10
Met de blancs frissons, et l’émail lacté 10
Nacrant les quenottes. 5
Le pétale pris au grand lys ailé, 10
A pu sillonner l’azur constellé 10
55 Dont la majesté l’a baigné de gloire ; 10
Et, dans le nocturne éblouissement, 10
Des rayons de lune ont pieusement 10
Argenté sa moire. 5
Aussi dira-t-il combien le cristal 10
60 De l’iris est bleu, sur quel idéal 10
De limpidité s’ouvre la prunelle, 10
Et par quel effet du mystérieux 10
Il fait clair de lune au fond des beaux yeux 10
De mademoiselle. 5
65 L’aile interrompait son cours vers le sol 10
Pour illuminer plus longtemps son vol 10
Au rayonnement des apothéoses. 10
Il faut le miroir de ce souvenir 10
Qui dans les levants vit s’épanouir 10
70 Les nuages roses, 5
Pour énumérer tous les incarnats 10
Nuançant l’oreille aux plis délicats 10
Où la mèche d’or librement se joue, 10
Et, sans les meurtrir sous des mots trop lourds, 10
75 Décrire la lèvre et le fin velours 10
De la rose joue. 5
Le fragment sacré, dans l’éther sans fin 10
A porté l’essor du fier séraphin, 10
Parmi des froufrous d’ailes éperdues. 10
80 Ayant pu sonder le mystère bleu, 10
Mieux qu’un astre ouvrant son grand œil de feu 10
Sur les étendues, 5
Il saura parler d’un autre infini 10
Pour nous révéler le foyer béni 10
85 Dont le cœur de Rose a gardé la flamme… 10
Et nous comprendrons le rêve enchanté 10
Qui doit voltiger dans l’immensité 10
De sa petite âme. 5
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