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GAU_8/GAU317
Théophile GAUTIER
POÉSIES NOUVELLES, POÉSIES INÉDITES ET POÉSIES POSTHUMES
édition Maurice Dreyfous
1831-1872
A L'IMPÉRATRICE
Suave et pur jasmin d'Espagne 8
Où se posa l'abeille d'or, 8
Une grâce vous accompagne 8
Et vous possédez un trésor ; 8
5 Vous, le sourire de la force, 8
Le charme de la majesté, 8
Vous avez la puissante amorce 8
Qui prend les âmes — la bonté ! 8
Et, derrière l'Impératrice 8
10 A la couronne de rayons, 8
Apparaît la consolatrice 8
De toutes les afflictions. 8
Sans que votre cœur ne l'entende 8
Il ne saurait tomber un pleur ; 8
15 Quelle est la main qui ne se tende 8
Vers vous, du fond de son malheur ? 8
Pensive, auguste et maternelle, 8
Tenant compte des maux soufferts, 8
Vous rafraîchissez de votre aile 8
20 Les feux mérités des enfers. 8
Ce n'est pas seulement vers l'ombre 8
Que va le regard de vos yeux, 8
Dans la cellule étroite et sombre 8
Faisant briller l'azur des cieux ; 8
25 Ce regard que chacun implore, 8
Qui luit sur tous comme un flambeau, 8
S'arrête, plus touchant encore, 8
Quand il a rencontré le Beau. 8
L'enthousiasme y met sa flamme 8
30 Sans en altérer la douceur ; 8
Si le génie est une femme, 8
Vous lui dites : «Venez, ma sœur, 8
«Je mettrai sur vous cette gloire 8
Qui fait les hommes radieux, 8
35 Ce ruban teint par la victoire, 8
Pourpre humaine digne des dieux !» 8
Et votre main d'où tout ruisselle 8
Sur le sein de Rosa Bonheur 8
Allumant la rouge étincelle, 8
40 Fait jaillir l'astre de l'Honneur ! 8
II
Oh ! quelle joie au séjour morne 8
Des pauvres Enfants détenus, 8
Limbes grises, tombeau que borne 8
Un horizon de grands murs nus. 8
45 Lorsque la porte qui s'entr'ouvre, 8
Laissant passer le jour vermeil, 8
A leurs yeux ravis vous découvre 8
Comme un ange dans le soleil ! 8
Pour le penseur chose effrayante ! 8
50 L'homme jetant à la prison 8
La faute encore inconsciente 8
Et le crime avant la raison ! 8
Là sont des Cartouches en herbe 8
Dont les dents de lait ont mordu, 8
55 Comme un gâteau, le fruit acerbe 8
Qui pend à l'arbre défendu ; 8
Des scélérats sevrés à peine ; 8
De petits bandits de douze ans, 8
D'un mauvais sol mauvaise graine, 8
60 Tous coupables mais innocents ! 8
Hélas ! pour beaucoup la famille 8
Fut le repaire et non le nid, 8
La caverne où gronde et fourmille 8
Le monde fauve qu'on bannit. 8
65 Vous arrivez là, douce femme, 8
Lorsque sommeille encor Paris, 8
Faisant l'aumône de votre âme 8
A ces pauvres enfants surpris. 8
Vous accueillez leur plainte amère 8
70 Leur long désir de liberté, 8
Et chacun d'eux vous croit sa mère 8
A se voir si bien écouté. 8
Vous leur parlez de Dieu, de l'homme, 8
Du saint travail et du devoir, 8
75 Des grands exemples qu'on renomme, 8
Du repentir qui suit l'espoir ; 8
Et la prison tout éblouie 8
Par la céleste vision, 8
De la lumière évanouie 8
80 Conserve longtemps un rayon ! 8
III
Il est d'autres cités dolentes 8
Que d'autres Dante décriront ; 8
Les heures s'y traînent bien lentes, 8
La faute a la rougeur au front. 8
85 Là gémissent les vierges folles 8
Qui vont sans lampe dans la nuit ; 8
Les paresseuses aux mains molles 8
Que l'éclat d'un bijou séduit ; 8
La coupable, presque novice, 8
90 Trébuchée au chemin glissant, 8
Et toutes celles que le vice 8
Sur son char emporte en passant. 8
Sans craindre pour vos pieds la fange, 8
Vous traversez ces lieux maudits, 8
95 Comme en enfer, un bel Archange 8
Qui descendrait du Paradis. 8
Vous visitez dortoirs, chapelle, 8
Et la cellule et l'atelier, 8
Allant où chacun vous appelle 8
100 Et ne voulant rien oublier. 8
Si, dans la triste infirmerie, 8
Au chevet, où râle la mort, 8
Vous trouvez une sœur qui prie, 8
L'innocence près du remord, 8
105 Vous ployez les genoux, et l'âme, 8
Dont l'aile bat pour le départ, 8
Croit voir resplendir Notre-Dame 8
A travers son vague regard. 8
Lorsque se tait la litanie, 8
110 Vous vous penchez pour mieux saisir 8
Sur les lèvres de l'agonie 8
Le suprême et secret désir. 8
La jeune mourante, éperdue, 8
Qui ne parlait plus qu'avec Dieu, 8
115 D'une voix à peine entendue 8
Confie à votre cœur son vœu. 8
Cet humble vœu, dernier caprice, 8
Est recueilli pieusement, 8
Et de l'enfant l'Impératrice 8
120 Exécute le testament. 8
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