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GAU_8/GAU306
Théophile GAUTIER
POÉSIES NOUVELLES, POÉSIES INÉDITES ET POÉSIES POSTHUMES
édition Maurice Dreyfous
1831-1872
NATIVITÉ
Au vieux palais des Tuileries, 8
Chargé déjà d'un grand destin, 8
Parmi le luxe et les féeries 8
Un Enfant est né ce matin. 8
5 Aux premiers rayons de l'aurore, 8
Dans les rougeurs de l'Orient, 8
Quand la ville dormait encore, 8
Il est venu, frais et riant, 8
Faisant oublier à sa mère 8
10 Les croix de la maternité, 8
Et réalisant la chimère 8
Du pouvoir et de la beauté. 8
Les cloches à pleines volées 8
Chantent aux quatre points du ciel ; 8
15 Joyeusement leurs voix ailées 8
Disent aux vents : Noël, Noël ! 8
Et le canon des Invalides, 8
Tonnerre mêlé de rayons, 8
Fait partout aux foules avides 8
20 Compter ses détonations. 8
Au bruit du fracas insolite 8
Qui fait trembler son piédestal, 8
S'émeut le glorieux stylite 8
Sur son bronze monumental. 8
25 Les aigles du socle s'agitent, 8
Essayant de prendre leur vol, 8
Et leurs ailes d'airain palpitent 8
Comme au jour de Sébastopol. 8
Mais ce n'est pas une victoire 8
30 Que chantent cloches et canons, 8
Sur l'Arc de Triomphe, l'Histoire 8
Ne sait plus où graver des noms ! 8
C'est un Jésus à tête blonde 8
Qui porte en sa petite main, 8
35 Pour globe bleu la paix du monde, 8
Et le bonheur du genre humain. 8
Sa crèche est faite en bois de rose, 8
Ses rideaux sont couleur d'azur ; 8
Paisible en sa conque il repose, 8
40 Car : Fluctuat nec mergitur. 8
Sur lui la France étend son aile ; 8
A son nouveau-né, pour berceau, 8
Délicatesse maternelle, 8
Paris a prêté son vaisseau. 8
45 Qu'un bonheur fidèle accompagne 8
L'Enfant impérial qui dort, 8
Blanc comme les jasmins d'Espagne, 8
Blond comme les abeilles d'or ! 8
Oh ! quel avenir magnifique 8
50 Pour son enfant a préparé 8
Le Napoléon pacifique, 8
Par le vœu du peuple sacré ! 8
Jamais les discordes civiles 8
N'y feront, pour des plans confus, 8
55 Sur l'inégal pavé des villes 8
Des canons sonner les affûts. 8
Car la France, Reine avouée 8
Parmi les peuples, a repris 8
Le nom de «France la louée,» 8
60 Que lui donnaient les vieux écrits. 8
Futur César, quelles merveilles 8
Surprendront tes yeux éblouis, 8
Que cherchaient en vain dans leurs veilles 8
François, Henri-Quatre et Louis ! 8
65 A ton premier regard, le Louvre, 8
Profil toujours inachevé, 8
En perspective se découvre ; 8
Tu verras ce qu'on a rêvé ! 8
Paris, l'égal des Babylones, 8
70 Dentelant le manteau des cieux 8
De dômes, de tours, de pylônes, 8
Entassement prodigieux, 8
Au centre d'une roue immense 8
De chemins de fer rayonnants, 8
75 Où tout finit et tout commence, 8
Mecque des peuples bourdonnants ! 8
Civilisation géante, 8
Oh ! quels miracles tu feras 8
Dans la cité toujours béante 8
80 Avec l'acier de tes cent bras ! 8
Isis, laissant lever ses voiles, 8
N'aura plus de secrets pour nous, 8
La Paix, au front cerclé d'étoiles, 8
Bercera l'Art sur ses genoux ; 8
85 L'Ignorance, aux longues oreilles, 8
Bouchant ses yeux pour ne pas voir, 8
Devant ces splendeurs non pareilles 8
Se verra réduite à savoir ; 8
Et Toi, dans l'immensité sombre, 8
90 Avec un respect filial, 8
Au milieu des soleils sans nombre 8
Cherche au ciel l'astre impérial ; 8
Suis bien le sillon qu'il te marque, 8
Et vogue, fort du souvenir, 8
95 Dans ton berceau devenu barque 8
Sur l'océan de l'avenir ! 8
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