Métrique en Ligne
GAU_8/GAU301
Théophile GAUTIER
POÉSIES NOUVELLES, POÉSIES INÉDITES ET POÉSIES POSTHUMES
édition Maurice Dreyfous
1831-1872
LA NEIGE
FANTAISIE D'HIVER
La bruine toujours pleure 7
Sur notre sol consterné ; 7
Le soleil piteux demeure 7
De brouillards enfariné. 7
5 La neige, fourrure blanche, 7
Ourle le rebord des toits ; 7
Elle poudre chaque branche 7
De la perruque des bois. 7
Sous son linceul, elle enferme 7
10 Les plus lointains horizons ; 7
A la barbe du dieu Terme 7
Elle suspend des glaçons. 7
Dans ses rêts froids et tenaces, 7
Au vol elle abat l'oiseau, 7
15 Et se durcissant en glaces, 7
Fige le poisson dans l'eau. 7
Sur la vitre des mansardes 7
Elle étale ses pâleurs, 7
Et fait aux lunes blafardes 7
20 Un teint de pâles couleurs. 7
Des Vénus trop court vêtues 7
En cachant la nudité, 7
La neige tisse aux statues 7
Un voile de chasteté. 7
25 Bonne en ces heures maussades, 7
En ces mortelles saisons, 7
Elle fournit des glissades 7
Pour le jeu des polissons ! 7
Elle coiffe la montagne 7
30 D'un cimier fol et changeant, 7
Et jette sur la campagne 7
Son manteau de vif-argent. 7
Sous les pieds de la fillette 7
Elle étend son blanc tapis, 7
35 Et pour l'amant qui la guette 7
Rend ses pas plus assoupis. 7
Elle attache la pituite 7
Au nez transi des bourgeois ; 7
Mais au rêveur qui médite 7
40 Elle dit, trouvant la voix : 7
«C'est moi qui suis ta Giselle, 7
Ta vaporeuse willi ; 7
Je suis jeune, je suis belle, 7
J'ai froid ; — ouvre-moi ton lit ? 7
45 Déposant ma houppelande 7
Et mes gants en peau de daim, 7
Je te dirai la légende 7
Du grand paradis d'Odin.» 7
Or, un poëte un peu tendre 7
50 Et qui chez lui fait du feu, 7
Ne peut jamais faire attendre 7
Une fillette à l'œil bleu ! 7
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