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GAU_8/GAU291
Théophile GAUTIER
POÉSIES NOUVELLES, POÉSIES INÉDITES ET POÉSIES POSTHUMES
édition Maurice Dreyfous
1831-1872
WLADISLAS III
SURNOMMÉ LE VARNÉNIEN (1424-1444)
CHANT HISTORIQUE
(Traduit littéralement du polonais)
En quelque sorte que ce soit, il ne lui fut jamais
possible de faire retourner le Roy ; car il estimoit
trop indigne du lieu qu'il tenoit et du sang dont
il estoit sorty, qu'on l'eust veu desmarcher un seul
pas en arrière.

Tout que vers le soir son cheval ayant par les
janissaires esté tué sous luy, fut à la fin mis à
mort ce très-valeureux et invincible Prince, digne
certes d'une plus longue vie.
(Blaise de Vigenère, Les Chroniques et Annales de Pologne, 1573)
Une grande journée en Pologne connue, 12
Ce fut lorsque naquit à Jagellon un fils : 12
Toute la nation célébra sa venue 12
Avec de joyeux cris. 6
5 En ce temps-là Witold, achevant de soumettre 12
Les Russiens du Wolga combattus vaillamment. 12
Revint, et salua le jeune roi son maître 12
D'un tendre embrassement. 6
Soulevant hautement l'enfant à tête blonde, 12
10 Il dit ceci : «Seigneur de la terre et des cieux, 12
Faites que ce cher prince en tous pays du monde 12
Devienne glorieux.» 6
Ici l'on apporta des cadeaux de baptême. 12
Witold donna les siens : et puis dans un berceau 12
15 Coulé de pur argent, il déposa lui-même 12
Le petit roi nouveau. 6
Il l'élevait à bien défendre la patrie ; 12
Mais la mort, quand l'enfant eut douze ans, l'emporta. 12
Et Jagellon le vieux s'en allant de la vie, 12
20 Sur son trône il monta. 6
Des viles passions il évita l'empire, 12
De Chobry dignement il suivit le chemin ; 12
Il tint l'état en bride, et le sut bien conduire 12
Avec sa forte main. 6
25 Ceux de Poméranie, et ceux de Moldavie, 12
Et ceux de Valachie, en foule accouraient tous 12
Comme à leur roi, devant son trône, à Varsovie, 12
Plier les deux genoux. 6
Voyant comme c'était un prince grand et brave, 12
30 Pour avoir son appui, le peuple des Hongrois 12
Lui fit porter en pompe, ainsi qu'un humble esclave, 12
La couronne des rois. 6
Son pouvoir s'affermit ; et lorsque dans Byzance 12
Le trône des Césars chancelle, prés de choir, 12
35 Rome et le monde entier dans sa seule vaillance 12
Mettent tout leur espoir. 6
Son nom roule et grossit ainsi qu'une avalanche, 12
Aux Turcomans domptés il fait mordre le sol, 12
Devant ses pas vainqueurs avec lui l'aigle blanche 12
40 Porte en tous lieux son vol. 6
Quand il prit son chemin par le pays des Slaves, 12
Ceux-ci voyant pareils leur langage et leur foi, 12
Sous le joug étranger fatigués d'être esclaves, 12
Le saluèrent roi. 6
45 Trop heureux si, content de régner avec gloire, 12
Sur les peuples nombreux à son trône soumis, 12
Il eût su maîtriser ses ardeurs de victoire 12
Comme ses ennemis. 6
Le fidèle conseil souvent lui disait : «Sire, 12
50 Assez comme cela, c'est assez de hauts faits. 12
Vaincre est beau ; mais la gloire est plus grande, à vrai dire, 12
Qu'on gagne dans la paix.» 6
Mais Rome parlait haut à couvrir ce langage ; 12
Le monde l'appelait ; et, de tout oublieux, 12
55 Il part, et, sous Varna, contre les Turcs engage 12
Un combat périlleux. 6
Les plus terribles coups, épouvante et mort pâle 12
Allaient dans la mêlée où son glaive avait lui, 12
Et tous ceux que touchait sa cuirasse royale 12
60 Tombaient fauchés par lui. 6
Pour finir le combat que sa valeur prolonge, 12
Les Spahis, à grands cris, contre lui fondent tous, 12
Et dans son front privé du casque la mort plonge 12
Avec leurs mille coups. 6
65 Wladislas est tombé. Sous sa pesante armure 12
La terre pousse un triste et sourd gémissement 12
Mort, la menace vit encor sur sa figure 12
Crispée horriblement 6
Comme le Marcellus d'Auguste et de Livie, 12
70 Qui ne fit que briller sur le monde et mourut, 12
Notre Varnénien, dans l'avril de sa vie, 12
Brilla, puis disparut. 6
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