Métrique en Ligne
GAU_7/GAU263
Théophile GAUTIER
ESPAÑA
édition Maurice Dreyfous
1845
ESPAÑA
IN DESERTO
Les pitons des sierras, les dunes du désert, 12
Où ne pousse jamais un seul brin d'herbe vert ; 12
Les monts aux flancs zébrés de tuf, d'ocre et de marne, 12
Et que l'éboulement de jour en jour décharne, 12
5 Le grès plein de micas papillotant aux yeux, 12
Le sable sans profit buvant les pleurs des cieux, 12
Le rocher refrogné dans sa barbe de ronce, 12
L'ardente solfatare avec la pierre-ponce, 12
Sont moins secs et moins morts aux végétations 12
10 Que le roc de mon cœur ne l'est aux passions. 12
Le soleil de midi, sur le sommet aride, 12
Répand à flots plombés sa lumière livide, 12
Et rien n'est plus lugubre et désolant à voir 12
Que ce grand jour frappant sur ce grand désespoir. 12
15 Le lézard pâmé bâille, et parmi l'herbe cuite 12
On entend résonner les vipères en fuite. 12
Là, point de marguerite au cœur étoilé d'or, 12
Point de muguet prodigue égrenant son trésor ; 12
Là, point de violette ignorée et charmante, 12
20 Dans l'ombre se cachant comme une pâle amante, 12
Mais la broussaille rousse et le tronc d'arbre mort, 12
Que le genou du vent, comme un arc, plie et tord : 12
Là, pas d'oiseau chanteur, ni d'abeille en voyage, 12
Pas de ramier plaintif déplorant son veuvage ; 12
25 Mais bien quelque vautour, quelque aigle montagnard, 12
Sur le disque enflammé fixant son œil hagard, 12
Et qui, du haut du pic où son pied prend racine, 12
Dans l'or fauve du soir durement se dessine. 12
Tel était le rocher que Moïse, au désert, 12
30 Toucha de sa baguette, et dont le flanc ouvert, 12
Tressaillant tout à coup, fit jaillir en arcade 12
Sur les lèvres du peuple une fraîche cascade. 12
Ah ! s'il venait à moi, dans mon aridité, 12
Quelque reine des cœurs, quelque divinité, 12
35 Une magicienne, un Moïse femelle, 12
Traînant dans le désert les peuples après elle, 12
Qui frappât le rocher dans mon cœur endurci, 12
Comme de l'autre roche, on en verrait aussi 12
Sortir en jets d'argent des eaux étincelantes, 12
40 Où viendraient s'abreuver les racines des plantes ; 12
Où les pâtres errants conduiraient leurs troupeaux 12
Pour se coucher à l'ombre et prendre le repos ; 12
Où, comme en un vivier, les cigognes fidèles 12
Plongeraient leurs grands becs et laveraient leurs ailes. 12
La Guardia.
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