Métrique en Ligne
GAU_4/GAU136
Théophile GAUTIER
POÉSIES
édition Maurice Dreyfous
1833
VOYAGE
Il me faut du nouveau n'en fût-il plus au monde.
Jean de La Fontaine.
Jam mens prætrepidans avet vagari,
Jam læti studio pedes vigescunt.
Catulle.
Au travers de la vitre blanche 8
Le soleil rit, et sur les murs 8
Traçant de grands angles, épanche 8
Ses rayons splendides et purs : 8
5 Par un si beau temps, à la ville 8
Rester parmi la foule vile ! 8
Je veux voir des sites nouveaux : 8
Postillons, sellez vos chevaux. 8
Au sein d'un nuage de poudre, 8
10 Par un galop précipité, 8
Aussi promptement que la foudre 8
Comme il est doux d'être emporté ! 8
Le sable bruit sous la roue, 8
Le vent autour de vous se joue ; 8
15 Je veux voir des sites nouveaux : 8
Postillons, pressez vos chevaux. 8
Les arbres qui bordent la route 8
Paraissent fuir rapidement, 8
Leur forme obscure dont l'œil doute 8
20 Ne se dessine qu'un moment ; 8
Le ciel, tel qu'une banderole, 8
Par-dessus les bois roule et vole ; 8
Je veux voir des sites nouveaux : 8
Postillons, pressez vos chevaux. 8
25 Chaumières, fermes isolées, 8
Vieux châteaux que flanque une tour, 8
Monts arides, fraîches vallées, 8
Forêts se suivent tour à tour ; 8
Parfois au milieu d'une brume, 8
30 Un ruisseau dont la chute écume ; 8
Je veux voir des sites nouveaux : 8
Postillons, pressez vos chevaux. 8
Puis, une hirondelle qui passe, 8
Rasant la grève au sable d'or, 8
35 Puis, semés dans un large espace, 8
Les moutons d'un berger qui dort ; 8
De grandes perspectives bleues, 8
Larges et longues de vingt lieues ; 8
Je veux voir des sites nouveaux : 8
40 Postillons, pressez vos chevaux. 8
Une montagne : l'on enraye, 8
Au bord du rapide penchant 8
D'un mont dont la hauteur effraye : 8
Les chevaux glissent en marchant, 8
45 L'essieu grince, le pavé fume, 8
Et la roue un instant s'allume ; 8
Je veux voir des sites nouveaux : 8
Postillons, pressez vos chevaux. 8
La côte raide est descendue. 8
50 Recouverte de sable fin, 8
La route, à chaque instant perdue, 8
S'étend comme un ruban sans fin. 8
Que cette plaine est monotone ! 8
On dirait un matin d'automne, 8
55 Je veux voir des sites nouveaux : 8
Postillons, pressez vos chevaux. 8
Une ville d'un aspect sombre, 8
Avec ses tours et ses clochers 8
Qui montent dans les airs, sans nombre, 8
60 Comme des mâts ou des rochers, 8
Où mille lumières flamboient 8
Au sein des ombres qui la noient ; 8
Je veux voir des sites nouveaux : 8
Postillons, pressez vos chevaux ! 8
65 Mais ils sont las, et leurs narines, 8
Rouges de sang, soufflent du feu ; 8
L'écume inonde leurs poitrines 8
Il faut nous arrêter un peu. 8
Halte ! demain, plus vite encore, 8
70 Aussitôt que poindra l'aurore, 8
Postillons, pressez vos chevaux, 8
Je veux voir des sites nouveaux. 8
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