Métrique en Ligne
GAU_2/GAU103
Théophile GAUTIER
La comédie de la mort
1838
LA BONNE JOURNÉE
Ce jour, je l'ai passé ployé sur mon pupitre, 12
Sans jeter une fois l'œil à travers la vitre. 12
Par Apollo ! cent vers ; je devrais être las, 12
On le serait à moins ; mais je ne le suis pas ; 12
5 Je ne sais quelle joie intime et souveraine 12
Me fait le regard vif et la face sereine, 12
Comme après la rosée une petite fleur ; 12
Mon front se lève en haut avec moins de pâleur ; 12
Un sourire d'orgueil sur mes lèvres rayonne, 12
10 Et mon souffle pressé plus fortement résonne. 12
J'ai rempli mon devoir comme un brave ouvrier. 12
Rien ne m'a pu distraire ; en vain mon lévrier, 12
Entre mes deux genoux posant sa longue tête, 12
Semblait me dire :--En chasse ! en vain d'un air de fête 12
15 Le ciel tout bleu dardait, par le coin du carreau, 12
Un filet de soleil jusque sur mon bureau ; 12
Près de ma pipe, en vain, ma joyeuse bouteille 12
M'étalait son gros ventre et souriait vermeille ; 12
En vain ma bien-aimée, avec son beau sein nu, 12
20 Se penchait en riant de son rire ingénu ; 12
Sur mon fauteuil gothique, et dans ma chevelure 12
Répandait les parfums de son haleine pure. 12
Sourd comme saint Antoine à la tentation, 12
J'ai poursuivi mon œuvre avec religion ; 12
25 L'œuvre de mon amour qui mort me fera vivre, 12
Et ma journée ajoute un feuillet à mon livre. 12
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