Métrique en Ligne
GAU_1/GAU42
Théophile GAUTIER
ÉMAUX ET CAMÉES
1872
LE MERLE
Un oiseau siffle dans les branches 8
Et sautille gai, plein d'espoir, 8
Sur les herbes, de givre blanches, 8
En bottes jaunes, en frac noir. 8
5 C'est un merle, chanteur crédule, 8
Ignorant du calendrier, 8
Qui rêve soleil, et module 8
L'hymne d'avril en février. 8
Pourtant il vente, il pleut à verse ; 8
10 L'Arve jaunit le Rhône bleu, 8
Et le salon tendu de perse, 8
Tient tous ses hôtes près du feu. 8
Les monts sur l'épaule ont l'hermine, 8
Comme des magistrats siégeant ; 8
15 Leur blanc tribunal examine 8
Un cas d'hiver se prolongeant. 8
Lustrant son aile qu'il essuie, 8
L'oiseau persiste en sa chanson, 8
Malgré neige, brouillard et pluie, 8
20 Il croit à la jeune saison. 8
Il gronde l'aube paresseuse 8
De rester au lit si longtemps 8
Et, gourmandant la fleur frileuse, 8
Met en demeure le printemps. 8
25 Il voit le jour derrière l'ombre ; 8
Tel un croyant, dans le saint lieu, 8
L'autel désert, sous la nef sombre, 8
Avec sa foi voit toujours Dieu. 8
A la nature il se confie, 8
30 Car son instinct pressent la loi. 8
Qui rit de ta philosophie, 8
Beau merle, est moins sage que toi ! 8
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