Métrique en Ligne
GAU_1/GAU41
Théophile GAUTIER
ÉMAUX ET CAMÉES
1872
LA NUE
A l'horizon monte une nue, 8
Sculptant sa forme dans l'azur : 8
On dirait une vierge nue 8
Émergeant d'un lac au flot pur. 8
5 Debout dans sa conque nacrée, 8
Elle vogue sur le bleu clair. 8
Comme une Aphrodite éthérée, 8
Faite de l'écume de l'air ; 8
On voit onder en molles poses 8
10 Son torse au contour incertain, 8
Et l'aurore répand des roses 8
Sur son épaule de satin. 8
Ses blancheurs de marbre et de neige 8
Se fondent amoureusement 8
15 Comme, au clair-obscur du Corrége, 8
Le corps d'Antiope dormant. 8
Elle plane dans la lumière 8
Plus haut que l'Alpe ou l'Apennin ; 8
Reflet de la beauté première, 8
20 Sœur de «l'éternel féminin». 8
A son corps, en vain retenue, 8
Sur l'aile de la passion, 8
Mon âme vole à cette nue 8
Et l'embrasse comme Ixion. 8
25 La raison dit : «Vague fumée, 8
Où l'on croit voir ce qu'on rêva, 8
Ombre au gré du vent déformée, 8
Bulle qui crève et qui s'en va !» 8
Le sentiment répond : «Qu'importe ! 8
30 Qu'est-ce après tout que la beauté ? 8
Spectre charmant qu'un souffle emporte 8
Et qui n'est rien, ayant été ! 8
«A l'Idéal ouvre ton âme, 8
Mets dans ton cœur beaucoup de ciel, 8
35 Aime une nue, aime une femme, 8
Mais aime !— C'est l'essentiel !» 8
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