Métrique en Ligne
GAU_1/GAU40
Théophile GAUTIER
ÉMAUX ET CAMÉES
1872
LA MANSARDE
Sur les tuiles où se hasarde 8
Le chat guettant l'oiseau qui boit, 8
De mon balcon une mansarde 8
Entre deux tuyaux s'aperçoit. 8
5 Pour la parer d'un faux bien-être, 8
Si je mentais comme un auteur, 8
Je pourrais faire à sa fenêtre 8
Un cadre de pois de senteur, 8
Et vous y montrer Rigolette 8
10 Riant à son petit miroir, 8
Dont le tain rayé ne reflète 8
Que la moitié de son œil noir ; 8
Ou, la robe encor sans agrafe, 8
Gorge et cheveux au vent, Margot 8
15 Arrosant avec sa carafe 8
Son jardin planté dans un pot ; 8
Ou bien quelque jeune poète 8
Qui scande ses vers sibyllins, 8
En contemplant la silhouette 8
20 De Montmartre et de ses moulins. 8
Par malheur, ma mansarde est vraie, 8
Il n'y grimpe aucun liseron, 8
Et la vitre y fait voir sa taie, 8
Sous l'ais verdi d'un vieux chevron. 8
25 Pour la grisette et pour l'artiste, 8
Pour le veuf et pour le garçon, 8
Une mansarde est toujours triste : 8
Le grenier n'est beau qu'en chanson. 8
Jadis, sous le comble dont l'angle 8
30 Penchait les fronts pour le baiser, 8
L'amour, content d'un lit de sangle, 8
Avec Suzon venait causer. 8
Mais pour ouater notre joie, 8
Il faut des murs capitonnés, 8
35 Des flots de dentelle et de soie, 8
Des lits par Monbro festonnés. 8
Un soir, n'étant pas revenue, 8
Margot s'attarde au mont Breda, 8
Et Rigolette entretenue 8
40 N'arrose plus son réséda. 8
Voilà longtemps que le poète 8
Las de prendre la rime au vol, 8
S'est fait reporter de gazette, 8
Quittant le ciel pour l'entresol. 8
45 Et l'on ne voit contre la vitre 8
Qu'une vieille au maigre profil, 8
Devant Minet, qu'elle chapitre, 8
Tirant sans cesse un bout de fil. 8
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