Métrique en Ligne
GAU_1/GAU33
Théophile GAUTIER
ÉMAUX ET CAMÉES
1872
CE QUE DISENT LES HIRONDELLES
CHANSON D'AUTOMNE
Déjà plus d'une feuille sèche 8
Parsème les gazons jaunis ; 8
Soir et matin, la brise est fraîche, 8
Hélas ! les beaux jours sont finis ! 8
5 On voit s'ouvrir les fleurs que garde 8
Le jardin, pour dernier trésor : 8
Le dahlia met sa cocarde 8
Et le souci sa toque d'or. 8
La pluie au bassin fait des bulles, 8
10 Les hirondelles sur le toit 8
Tiennent des conciliabules : 8
Voici l'hiver, voici le froid ! 8
Elles s'assemblent par centaines, 8
Se concertant pour le départ. 8
15 L'une dit : «Oh ! que dans Athènes 8
Il fait bon sur le vieux rempart ! 8
«Tous les ans j'y vais et je niche 8
Aux métopes du Parthénon. 8
Mon nid bouche dans la corniche 8
20 Le trou d'un boulet de canon.» 8
L'autre : «J'ai ma petite chambre 8
A Smyrne, au plafond d'un café. 8
Les Hadjis comptent leurs grains d'ambre 8
Sur le seuil, d'un rayon chauffé. 8
25 «J'entre et je sors, accoutumée 8
Aux blondes vapeurs des chibouchs, 8
Et parmi des flots de fumée, 8
Je rase turbans et tarbouchs.» 8
Celle-ci : «J'habite un triglyphe 8
30 Au fronton d'un temple, à Balbeck. 8
Je m'y suspends avec ma griffe 8
Sur mes petits au large bec.» 8
Celle-là : «Voici mon adresse : 8
Rhodes, palais des chevaliers ; 8
35 Chaque hiver, ma tente s'y dresse 8
Au chapiteau des noirs piliers.» 8
La cinquième : «Je ferai halte, 8
Car l'âge m'alourdit un peu, 8
Aux blanches terrasses de Malte, 8
40 Entre l'eau bleue et le ciel bleu.» 8
La sixième : «Qu'on est à l'aise 8
Au Caire, en haut des minarets ! 8
J'empâte un ornement de glaise, 8
Et mes quartiers d'hiver sont prêts.» 8
45 «A la seconde cataracte, 8
Fait la dernière, j'ai mon nid ; 8
J'en ai noté la place exacte, 8
Dans le pschent d'un roi de granit.» 8
Toutes : «Demain combien de lieues 8
50 Auront filé sous notre essaim, 8
Plaines brunes, pics blancs, mers bleues 8
Brodant d'écume leur bassin !» 8
Avec cris et battements d'ailes, 8
Sur la moulure aux bords étroits, 8
55 Ainsi jasent les hirondelles, 8
Voyant venir la rouille aux bois. 8
Je comprends tout ce qu'elles disent, 8
Car le poëte est un oiseau ; 8
Mais, captif, ses élans se brisent 8
60 Contre un invisible réseau ! 8
Des ailes ! des ailes ! des ailes ! 8
Comme dans le chant de Ruckert, 8
Pour voler, là-bas avec elles 8
Au soleil d'or, au printemps vert ! 8
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