Métrique en Ligne
GAU_1/GAU29
Théophile GAUTIER
ÉMAUX ET CAMÉES
1872
LES NÉRÉIDES
J'ai dans ma chambre une aquarelle 8
Bizarre, et d'un peintre avec qui 8
Mètre et rime sont en querelle, 8
— Théophile Kniatowski. 8
5 Sur l'écume blanche qui frange 8
Le manteau glauque de la mer 8
Se groupent en bouquet étrange 8
Trois nymphes, fleurs du gouffre amer. 8
Comme des lys noyés, la houle 8
10 Fait dans sa volute d'argent 8
Danser leurs beaux corps qu'elle roule, 8
Les élevant, les submergeant. 8
Sur leurs têtes blondes, coiffées 8
De pétoncles et de roseaux, 8
15 Elles mêlent, coquettes fées, 8
L'écrin et la flore des eaux. 8
Vidant sa nacre, l'huître à perle 8
Constelle de son blanc trésor 8
Leur gorge, où le flot qui déferle 8
20 Suspend d'autres perles encor. 8
Et, jusqu'aux hanches soulevées 8
Par le bras des Tritons nerveux, 8
Elles luisent, d'azur lavées, 8
Sous l'or vert de leurs longs cheveux. 8
25 Plus bas, leur blancheur sous l'eau bleue 8
Se glace d'un visqueux frisson, 8
Et le torse finit en queue, 8
Moitié femme, moitié poisson. 8
Mais qui regarde la nageoire 8
30 Et les reins aux squameux replis, 8
En voyant les bustes d'ivoire 8
Par le baiser des mers polis ? 8
A l'horizon,— piquant mélange 8
De fable et de réalité,— 8
35 Paraît un vaisseau qui dérange 8
Le chœur marin épouvanté. 8
Son pavillon est tricolore ; 8
Son tuyau vomit la vapeur ; 8
Ses aubes fouettent l'eau sonore, 8
40 Et les nymphes plongent de peur. 8
Sans crainte elles suivaient par troupes 8
Les trirèmes de l'Archipel, 8
Et les dauphins, arquant leurs croupes, 8
D'Arion attendaient l'appel. 8
45 Mais le steam-boat avec ses roues, 8
Comme Vulcain battant Vénus, 8
Souffletterait leurs belles joues 8
Et meurtrirait leurs membres nus. 8
Adieu, fraîche mythologie ! 8
50 Le paquebot passe et, de loin, 8
Croit voir sur la vague élargie 8
Une culbute de marsouin. 8
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