Métrique en Ligne
GAU_1/GAU15
Théophile GAUTIER
ÉMAUX ET CAMÉES
1872
TRISTESSE EN MER
Les mouettes volent et jouent ; 8
Et les blancs coursiers de la mer, 8
Cabrés sur les vagues secouent 8
Leurs crins échevelés dans l'air. 8
5 Le jour tombe ; une fine pluie 8
Éteint les fournaises du soir, 8
Et le steam-boat crachant la suie 8
Rabat son long panache noir. 8
Plus pâle que le ciel livide 8
10 Je vais au pays du charbon, 8
Du brouillard et du suicide ; 8
— Pour se tuer le temps est bon. 8
Mon désir avide se noie 8
Dans le gouffre amer qui blanchit ; 8
15 Le vaisseau danse, l'eau tournoie, 8
Le vent de plus en plus fraîchit. 8
Oh ! je me sens l'âme navrée ; 8
L'Océan gonfle, en soupirant, 8
Sa poitrine désespérée, 8
20 Comme un ami qui me comprend. 8
Allons, peines d'amour perdues, 8
Espoirs lassés, illusions 8
Du socle idéal descendues, 8
Un saut dans les moites sillons ! 8
25 A la mer, souffrances passées, 8
Qui revenez toujours, pressant 8
Vos blessures cicatrisées 8
Pour leur faire pleurer du sang ! 8
A la mer, spectre de mes rêves, 8
30 Regrets aux mortelles pâleurs 8
Dans un cœur rouge ayant sept glaives, 8
Comme la Mère des douleurs. 8
Chaque fantôme plonge et lutte 8
Quelques instants avec le flot 8
35 Qui sur lui ferme sa volute 8
Et l'engloutit dans un sanglot. 8
Lest de l'âme, pesant bagage, 8
Trésors misérables et chers, 8
Sombrez, et dans votre naufrage 8
40 Je vais vous suivre au fond des mers ! 8
Bleuâtre, enflé, méconnaissable, 8
Bercé par le flot qui bruit, 8
Sur l'humide oreiller du sable 8
Je dormirai bien cette nuit ! 8
45 … Mais une femme dans sa mante 8
Sur le pont assise à l'écart, 8
Une femme jeune et charmante 8
Lève vers moi son long regard. 8
Dans ce regard, à ma détresse 8
50 La Sympathie aux bras ouverts 8
Parle et sourit, sœur ou maîtresse. 8
Salut, yeux bleus ! bonsoir, flots verts ! 8
Les mouettes volent et jouent ; 8
Et les blancs coursiers de la mer, 8
55 Cabrés sur les vagues, secouent 8
Leurs crins échevelés dans l'air. 8
logo du CRISCO logo de l'université