Métrique en Ligne
GAU_1/GAU11
Théophile GAUTIER
ÉMAUX ET CAMÉES
1872
CÆRULEI OCULI
Une femme mystérieuse, 8
Dont la beauté trouble mes sens 8
Se tient debout, silencieuse, 8
Au bord des flots retentissants. 8
5 Ses yeux, où le ciel se reflète, 8
Mêlent à leur azur amer, 8
Qu'étoile une humide paillette, 8
Les teintes glauques de la mer. 8
Dans les langueurs de leurs prunelles, 8
10 Une grâce triste sourit ; 8
Les pleurs mouillent les étincelles 8
Et la lumière s'attendrit ; 8
Et leurs cils comme des mouettes 8
Qui rasent le flot aplani, 8
15 Palpitent, ailes inquiètes, 8
Sur leur azur indéfini. 8
Comme dans l'eau bleue et profonde, 8
Où dort plus d'un trésor coulé, 8
On y découvre à travers l'onde 8
20 La coupe du roi de Thulé. 8
Sous leur transparence verdâtre, 8
Brille, parmi le goémon, 8
L'autre perle de Cléopâtre 8
Près de l'anneau de Salomon. 8
25 La couronne au gouffre lancée 8
Dans la ballade de Schiller, 8
Sans qu'un plongeur l'ait ramassée, 8
Y jette encor son reflet clair. 8
Un pouvoir magique m'entraîne 8
30 Vers l'abîme de ce regard, 8
Comme au sein des eaux la sirène 8
Attirait Harald Harfagar. 8
Mon âme, avec la violence 8
D'un irrésistible désir, 8
35 Au milieu du gouffre s'élance 8
Vers l'ombre impossible à saisir. 8
Montrant son sein, cachant sa queue, 8
La sirène amoureusement 8
Fait ondoyer sa blancheur bleue 8
40 Sous l'émail vert du flot dormant. 8
L'eau s'enfle comme une poitrine 8
Aux soupirs de la passion ; 8
Le vent, dans sa conque marine, 8
Murmure une incantation. 8
45 «Oh ! viens dans ma couche de nacre, 8
Mes bras d'onde t'enlaceront ; 8
Les flots, perdant leur saveur âcre, 8
Sur ta bouche, en miel couleront. 8
«Laissant bruire sur nos têtes, 8
50 La mer qui ne peut s'apaiser, 8
Nous boirons l'oubli des tempêtes 8
Dans la coupe de mon baiser.» 8
Ainsi parle la voix humide 8
De ce regard céruléen, 8
55 Et mon cœur, sous l'onde perfide, 8
Se noie et consomme l'hymen. 8
logo du CRISCO logo de l'université