Métrique en Ligne
FRT_1/FRT5
Charles-Théophile FERET
LE BOURDEAU DES NEUF PUCELLES
1912
ERATO
Le Voyage
Quel plaisir, le départ vers la mer, vers l’amour, 12
Avec l’Amie, intacte encor, qu’idéalise 12
Parmi les grands manteaux et les fauves valises 12
L’inconnu de la chair, à la chute du jour. 12
5 Par un long soir doré partir vers le mystère 12
Du Manoir dans les bois et du beau corps nouveau. 12
Mais de doux regarder et de geste dévot 12
Voiler le désir dur, et la voix qu’il altère. 12
Songer au fruit suave, énorme et divisé, 12
10 Charnellement assis aux rondeurs de la robe ; 12
Imaginer le branle amoureux du beau globe, 12
Que le rythme du train fait doucement danser. 12
Voir se profiler sur les prés en débandade, 12
Sur la berge qui court à contre-sens de l’eau, 12
15 Le visage rayé d’ombre agile, pâlot 12
Comme la lune sous le nuage nomade. 12
Puis quand le Pays vert s’atteste en ses maisons 12
Aux poutres brunes dans le plâtre en colombages, 12
Si les yeux pérégrins ont loué nos herbages, 12
20 Mercier d’un baiser les cils et les frisons. 12
Enfin quand la Nuit douce, effaçant les collines, 12
Nous cerne de son mur tout à l’heure infini, 12
Désarmer la pudeur de son tendre Nenni, 12
Ouvrir les bras au col qu’un songe dodeline. 12
25 Et dès qu’elle acquiesce en un faible gémir, 12
Poser sur ses genoux, avant qu’elle se garde, 12
Une main innocente, et comme par mégarde, 12
Sur les genoux, première étape du plaisir. 12
Murmurer en des mots frêles, comme d’un songe : 12
30 « Votre corps chaud exhale un parfum de fruit mûr. 12
« Qu’il est doux le baiser du premier soir, et pur ! 12
« Il laisse aux vieux amants la ruse et le mensonge. 12
« Aide mon chant le Vendosmois mélodieux. 12
« L’aide ce beau tétin qu’eût jalousé Cassandre : 12
35 « Et l’écho des baisers de nos bouches en cendre 12
« Nouera les couples nus sur les draps radieux. » 12
Ainsi de bouche active et de main ocieuse, 12
— Mais dont l’effluve s’insinue au long des os — 12
Comme aux jeux d’Olympie une vierge de Cos, 12
40 Oindre d’une huile d’or la claire voyageuse. 12
Et savoir que de nous l’aube va faire un dieu, 12
Qui saisit la dryade au creux buisson, la perce 12
D’un dard multiplié, heureux du sang qu’il verse, 12
Lui arrache un long cri, et la cloue au milieu. 12
45 Mais attendre le lit, ne forcer que l’enceinte 12
Des dents, tant qu’au cristal ciselé des flacons 12
N’a la Nymphe ondoyé le Pinde et l’Hélicon, 12
N’ont clapoté les lacs de rose et de jacinthe ; 12
Qu’un peigne de Cypris n’a mordu les cheveux. 12
50 Et pour toute la chair, tout le crin dûs au maître, 12
— Le linge à bas, provocateur qui s’est fait traître, — 12
N’attendre que du lit l’absolu des aveux. 12
Du lit, profonde nef, dont les voiles captives 12
Cinglent joyeuses vers l’infini de la chair. 12
55 Pélerin du plaisir, repars sur cette mer, 12
Pleine aussi de remous et d’oiselles plaintives. 12
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