Métrique en Ligne
FRT_1/FRT4
Charles-Théophile FERET
LE BOURDEAU DES NEUF PUCELLES
1912
ERATO
La Belle Vieille
C’est d’avoir tant aimé l’enfance de ses seins 12
Qu’en son déclin je l’aime encore ; 8
Et d’avoir vu, des bas de la fillette, éclore 12
Deux globes d’un noble dessin. 8
5 J’avais cet âge, où l’on n’est plus le jeune coq 12
Qui plonge et retire sa lame, 8
Où les arômes bus ramènent à la femme, 12
Où l’amour prolonge le choc ; 8
Où, las des fards, de lèvre peinte, et de faux blond, 12
10 Las des rapides ariettes, 8
L’on rêve du menton pudique où Juliette 12
Presse son tendre violon. 8
Et sous mes yeux l’adolescence pétrissait 12
Ce très féminin bosselage, 8
15 Fanfreluchait de mousse un joli coquillage, 12
De myrrhe exaltait le gousset. 8
Je reniflais aux courtes manches de l’été 12
Le fil emmêlé des aisselles ; 8
Et j’épiais la jupe aux hautes balancelles 12
20 D’où béait sa féminité. 8
Mon rêve demandait aux nattes d’un noir bleu 12
Quelque image du tabernacle, 8
Où frise un crin d’agneau, dont l’attouchement racle 12
L’éréthisme des chairs en feu. 8
25 Par baisers décochés sur ses dents closes, j’eus 12
Les siens qui ne savaient répondre. 8
Mais l’imparfait contact dont je me sentais fondre 12
Prélibait son baume et son jus. 8
Ma jeunesse barbare oubliait son destin 12
30 De servir Mercure ou Minerve, 8
Tantale du poison âcre et doux, dont s’énerve 12
La soif, au flot proche et lointain. 8
O bucher de la Longue Attente ! O noir ruisseau 12
Des désirs qui coulent en lave ! 8
35 Bonds cruels du marteau sur le cœur de l’esclave ! 12
Et grésillement sous le sceau ! 8
Ce long souci qui des chairs d’ambre m’a fait serf 12
Aux brunes chaudes me consacre, 8
Aux yeux d’or que traverse un reflet de massacre, 12
40 Quand le spasme tire le nerf. 8
Enfin elle mûrit : je conquis des chemins, 12
Dont mes doigts étaient les couleuvres. 8
Mais la chambre secrète étant close au grand œuvre, 12
La clef en brûlait dans mes mains. 8
45 — Non ! dit la bouche, mais dans les yeux confesseurs 12
La chair défaille et s’humilie, 8
Le jeune sein captif se débat en folie, 12
Chevreuil lié par les chasseurs. 8
C’est dans une île de roseaux, de prés herbus, 12
50 Sous un vieux saule solitaire, 8
Qu’un jour elle m’ouvrit le délicat mystère, 12
Versa la tête, et je la bus. 8
Cette heure-là, depuis, ne meurt plus. Ce raisin, 12
J’en suce encor la grappe bleue ; 8
55 Ces œillets vers mes dents se haussent sur leur queue ; 12
Priape les cueille, et me ceint, 8
Quand au giron, immaculé comme jadis, 12
Dont Sarah fait Agar jalouse, 8
En son dixième lustre, à longs traits, je l’épouse 12
60 Parmi ses genoux arrondis. 8
Vos belles comparez ! Conferte puellas !(1) 12
Tel Paris morgua deux déesses, 8
Quand Vénus éteignit d’un remûment de fesses 12
Madame Jupin et Pallas ; 8
65 Tel Maynard, pour donner à la mienne le prix, 12
Infidèle à sa belle Vieille, 8
De sa stance eût tiré la couronne vermeille 12
Dédiée à des cheveux gris. 8
Car l’âge a respecté les siens ; de nul fanon 12
70 Il n’injurie un cou d’ivoire, 8
Ni ses pommes d’amour qu’à peine il mue en poires, 12
Ni ses bras dignes de Junon. 8
Et le plaisir ramène en ses yeux d’aujourd’hui 12
Le trouble émouvant de la gosse 8
75 Dont la chair est choyée avant l’âge des noces, 12
Qui mord et repousse le fruit. 8
Noces tardives ! qui pendant les plus beaux jours 12
Laissent la jeune chair en friche ! 8
Aimer, c’est vivre, et dans la saison la plus riche 12
80 L’état de grâce, c’est l’amour. 8
(1) Ovide.
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