Métrique en Ligne
FRT_1/FRT3
Charles-Théophile FERET
LE BOURDEAU DES NEUF PUCELLES
1912
ERATO
Ma Voisine
Quand le jour a brûlé sa chair grassette et blonde, 12
— Poreuse alcarazas dont sue en perles l’onde, 12
Pulpe que la brunette a d’un grain plus serré, — 12
A sa fenêtre ma voisine au chef doré, 12
5 Se fiant au feuillage, à la nuit ingénue, 12
Apparaît languissante, et luit pâlement, nue. 12
Nue ! elle ne sait pas la brèche en ses tilleuls, 12
Et qu’aux poètes comme aux derniers faunes, seuls, 12
Les dieux livrent encor la blanche proie hellène, 12
10 Nymphe des monts ou de la mer à Mytilène ; 12
Que du jardin nocturne et de lune trempé 12
Ils nous font ou l’Hymette ou le val de Tempé ; 12
Car les yeux bleus du rêve ont des vertus secrètes 12
Que la Beauté convie à ses plus belles fêtes. 12
15 De qui viens-tu parler, jeune femme à la nuit ? 12
De l’amant qui te lasse ou de cil qui te fuit ? 12
Sur cette rose est-ce une bouche que tu baises ? 12
Qui mieux, sous l’éventail de ces branches, s’apaise 12
De ton cœur frémissant ou de ta gorge en feu ? 12
20 Adieu léger, regret moqueur, pudique aveu, 12
Que murmure ta lèvre à l’ombre confidente ? 12
L’abîme de la rue et la feuille abondante 12
Séparent à jamais nos bras et nos destins ; 12
Ma main seule t’envie à mes yeux clandestins. 12
25 D’Amour, jeune ruffian qui bat des cartes fausses, 12
Peu me chault ; seul dénoue encor mon haut-de-chausses, 12
Seul débouche pour moi de magiques flacons, 12
Le Plaisir, sûr valet, qui garnit les balcons… 12
Il m’a de toi donné la part la plus suave : 12
30 Voir, c’est avoir un peu, jouir, sans être esclave. 12
Et voici que tes bras levés font sur ton dos 12
De ta nuque crouler les fluides fardeaux, 12
Que ton aisselle luit d’une touffe de plume. 12
Mon nez bat ; dans le vent illusoire je hume 12
35 En des moiteurs de blonde un âcre sauvagin. 12
De tes feminités et de leur doux engin, 12
Puisqu’une rampe me coupe ton ventre au cintre, 12
Mon vers chaste et déçu ne peut être le peintre. 12
A ta vaste toison — cette charge de blé 12
40 Sur ton dos — ne s’oppose un crin plus crespelé. 12
Je perds aussi tes longues jambes et leur lustre, 12
Vague blancheur entre les galbes des balustres. 12
O toi que je n’aurai jamais, ô toi qui m’eus, 12
En désarmant de leur acier mes yeux émus, 12
45 Reprends tes chastes lins et regagne ta couche, 12
Maintenant que, cabré de volupté farouche, 12
Dans une odeur de toile chaude et de couvain 12
Je cours charger un flanc que raie un noir ravin. 12
C’est la brunette au grain plus serré, c’est l’épouse. 12
50 Quand mon baiser la brûlera de sa ventouse, 12
Si t’arrivent là-bas des gémissements longs, 12
Crois qu’un rauque bonheur déchire deux coulombs ; 12
Et ne jalouse pont celle dont l’habitude 12
Ravie, et s’étonnant de mon élan plus rude, 12
55 Ne saura pas, mêlée au corps de son mari, 12
Qu’une adultère ardeur la foule et la tarit, 12
Que sa dévotion conjugale et câline 12
Sert de traîtres désirs comme une Messaline. 12
Mais je te dédierai la fougue où je connus 12
60 Sur la brune Pallas une claire Vénus. 12
Et toi-même vas-tu, te coulant sous tes toiles, 12
Réveiller un amant remué jusqu’aux moelles 12
Par ta jambe gélive et ton odeur d’été, 12
Et ces jumeaux compacts de ta rotondité ? 12
65 Peut-être projetant ma luxure lointaine 12
T’ai-je touché le sein d’une invisible antenne ; 12
Et ton maître, étonné de tes jeux assouplis 12
Aux rites qu’il n’osait enseigner à tes lits, 12
Va, dans la bouche et dans la conque autrefois prompte 12
70 Aux refus, retrouver deux esclaves sans honte. 12
Puisqu’Eros doit demain t’asservir, aujourd’hui 12
Ne crains pas un peu de bassesse devant lui. 12
logo du CRISCO logo de l'université