Métrique en Ligne
FRK_2/FRK9
corpus Pamela Puntel
Félix FRANK
CHANTS DE COLÈRE
1871
L’EMPIRE
LE RÉVEIL DE LA MUSE
ELLE est bien morte, disiez-vous, 8
Celle que nous avons aimée ! 8
Passez, passez, ô rêves fous : 8
La pauvre Muse inanimée 8
5 A fini ses chants fiers et doux !» 8
Vous disiez, les yeux gros de larmes, 8
Laissant rire les baladins 8
Pour qui nulle fleur n’a de charmes, 8
Et méprisant leurs vils dédains, 8
10 Lâches et misérables armes ! 8
Vous l’honoriez… Mais sur l’autel, 8
C’était une image de marbre 8
Sourde aux bruits du monde réel ; 8
Oh ! sous l’écorce de quel arbre 8
15 Se cachait son cœur immortel ? 8
Quel rossignol sous la ramure, 8
Dans les grands bois, s'en inspirait ? 8
Cueillant l’ajonc d’or et la mûre, 8
De sa chanson par la forêt 8
20 Quel pâte écoutait le murmure ? 8
Plus d’un inconnu plein d’espoir 8
La chercha dans l’ombre muette. 8
Faible orgueil, prompt à décevoir ! 8
Plus d’un, au cri de l’alouette, 8
25 Tressaillit et crut la revoir ! 8
Ah ! songeait la foule abattue, 8
Qui donc pourra nous rajeunir ? 8
Et devant la froide statue, 8
Comme devant un souvenir, 8
30 On pleurait, détournant la vue. 8
Quoi ! morte ?… Oh ! non, mais dans l’oubli 8
Se plongeant comme une exilée ! 8
Bien loin de son temple sali, 8
Dans une pose désolée, 8
35 Inclinant son beau front pâli ! 8
Morte ? Oh ! non pas ! La Muse aimée, 8
Qu’on disait promise au cercueil, 8
Par nos vœux ardents ranimée, 8
Doit rendre à la pensée en deuil 8
40 Sa jeunesse un jour opprimée ! 8
Non ! L’oracle n’est pas menteur : 8
Les tempes ceintes de verveine, 8
La voyez-vous sur la hauteur, 8
La Figure tendre et sereine 8
45 Qui nous sourit, amante ou sœur. 8
— « Amis, à moi ! Je suis la Muse ! 8
Je suis la Muse, et je reviens 8
De l’exil où j’errais confuse. 8
Amis, vos rêves sont les miens : 8
50 Car je hais la honte et la ruse ! 8
« Je souffre, mais je ne meurs pas ! 8
On m’avait chassée et flétrie ; 8
Dans ma nuit je rêvais tout bas… 8
Mais je me relève et je crie : 8
55 Debout ! A de nouveaux combats ! 8
« Oui, j’accours vivante, obstinée, 8
Retrouvant ma force et ma voix ! 8
Car, s’il est dans ma destinée 8
D’être mordue au sein parfois, 8
60 Au tombeau qui m’eût condamnée ? 8
« Moi, nourrice du monde enfant, 8
Jeune mère du vieil Orphée, 8
Dont le premier soleil levant 8
Éclaira le pouvoir de fée 8
65 Et salua le premier chant ! 8
« Oui, dans une poitrine humaine 8
Tant qu’un battement restera 8
Pour l’espoir, la joie ou la peine, 8
Jusqu’à la fin je serai là, 8
70 Idéal d’amour ou de haine ! 8
« Debout, Jeunesse sans remords ! 8
Il est un flot qui toujours monte, 8
Et qui menace les plus forts : 8
Pour dépasser le flot de honte, 8
75 Debout, si vous n’êtes pas morts ! 8
« Que ma voix en vous passe et gronde 8
Et vous abrège le chemin ! 8
Des nobles choses de ce monde, 8
Amis, que pas une demain 8
80 Ne dise dans la nuit profonde ! 8
« Avec l’Amour et la Beauté, 8
Chantez le Foyer qu’on insulte ! 8
Et demain, d’un cœur indompté, 8
Vous chanterez ces dieux sans culte : 8
85 Honneur, Justice et Liberté !» 8
§§§
La voilà : tout vibre et tout change ! 8
La voilà ! Nos cœurs et nos fronts 8
Ont ressenti le choc étrange ! 8
Elle parle, et nous accourons, 8
90 Secouant du pied toute fange ! 8
Jeunesse des fronts et des cœurs, 8
Debout ! Debout, force inconnue ! 8
Par la campagne et par la rue 8
Jetons nos chants ! Séchons nos pleurs : 8
95 La grande fée est revenue ! 8
Dépouillons tous les églantiers ! 8
Des fleurs, des chants, Jeunesse fière ! 8
Mêlons notre course première 8
Au long sillage de lumière 8
100 Qui la suit par tous les sentiers ! 8
C’est bien Elle… Oh ! salut, amie ! 8
Des éclairs partent de tes yeux, 8
Et déjà notre âme affermie 8
S’élance aux combats généreux… 8
105 Salut ! Tu n’étais qu’endormie ! 8
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