Métrique en Ligne
FRK_2/FRK8
corpus Pamela Puntel
Félix FRANK
CHANTS DE COLÈRE
1871
L’EMPIRE
A LA JEUNESSE
PAR EDMOND CHRISTIAN1
I
J’ATTENDAIS mieux de toi, Jeunesse abâtardie ! 12
J’espérais qu’un beau jour, secouant ta torpeur, 12
Tu tenterais enfin quelque attaque hardie, 12
Et dirais à César : « C’est à toi d’avoir peur !» 12
5 Non, rien ! — Tu dors paisible en ton indifférence, 12
Comme la chrysalide inerte en sa prison : 12
Du moins le papillon léger, plein d’espérance, 12
Volera vers le ciel à la chaude saison ; 12
Les grillons chanteront dans les herbes fleuries, 12
10 Le taureau mugissant, le cheval indompté, 12
De leurs pas vagabonds fouleront les prairies, 12
Humant à pleins poumons l’air et la liberté ; 12
Les collines verront la fleur nouvelle éclore, 12
Et les neiges se fondre aux baisers du soleil, 12
15 Et toi, Jeunesse, toi, tu dormiras encore 12
Quand tout célébrera l’universel réveil ! 12
Lorsque par des brigands la patrie asservie 12
Pour le peuple déchu devient un cabanon, 12
Que faut-il donc, dis-moi, pour te rendre la vie : 12
20 Est-ce des coups de fouet ou des coups de canon ? 12
Dans quel livre menteur as-tu lu notre histoire ? 12
De quel fatal bandeau t’a-t-on couvert les yeux ? 12
Quel nuage de honte obscurcit ta mémoire ? 12
Qu’as-tu gardé du sang de nos nobles aïeux ? 12
II
25 La France trop crédule, un jour, se laissa prendre 12
Aux perfides serments d’un cupide assassin : 12
Lui, le fer qu’il avait reçu pour la défendre, 12
Le traître s’en servit pour la frapper au sein ; 12
Et, comme le renard, lâche, aplati dans l’ombre, 12
30 Il n’osa pas frapper le coup en plein midi : 12
Il attendit la nuit, — nuit de décembre, sombre, — 12
Et surprit sa victime endormie… O bandit ! 12
Depuis cet attentat, la France à demi morte 12
Se traîne sous le joug vers le gouffre béant. 12
35 Jeunesse, tu le sais ; mais tu dis : « Que m’importe ! 12
Jouissons et dormons, — après nous le néant !» 12
C’est bien. Bois à longs traits les poisons qui t’enivrent, 12
Nourris-toi de tabac et d’ignobles romans, 12
Fréquente nuit et jour les lupanars qui livrent 12
40 Les filles des ruisseaux à tes embrassements. 12
Et toi, triste héros, goûte en paix ta victoire ; 12
Couvre-toi de lauriers, et porte sur ton front, 12
Sans sourciller, le poids de tes seize ans de gloire : 12
Nous portons si gaîment, nous, nos seize ans d’affront ! 12
45 Quel péri crains-tu donc ? quel augure funèbre ? 12
Pourquoi tant de fusils, tant d’espions aux aguets ? 12
Laisse cet appareil inutile, et célèbre 12
Un carnaval sans fin dans ta cour de laquais. 12
Si tu vois dans tes nuits, despote au cœur de bronze, 12
50 Des fantômes sanglants, de suaires drapés, 12
Surgir, ne tremble pas comme le vieux Louis Onze : 12
Ils sont bien morts, ceux-là que ton bras a frappés. 12
Ils ne revivront pas dans une forte race, 12
Ces vaillants tout entiers par la tombe engloutis : 12
55 Leurs fils, un jour, peut-être, auraient suivi leur trace ; 12
Politique profond, tu les as abrutis. 12
III
O mon âme, suspends ces accents de colère. 12
Écoute ! dans la foule un murmure bruit ; 12
Regarde ! l’horizon autour de nous s’éclaire, 12
60 Une flamme a jailli du sein de notre nuit. 12
Ah ! sous la cendre froide, une faible étincelle 12
Se raviverait-elle à cet éclair puissant ? 12
La Liberté féconde, ô Jeunesse, aurait-elle 12
Retrouvé dans ton cœur une goutte de sang ?… 12
1. Les vers qu’on va lire, sous le nom d’Edmond Christian, et qui sont d’ailleurs en parfaite harmonie avec le reste du recueil, avaient leur place marquée ici, la pièce suivante pouvant être considérée comme une réplique de l’auteur des Chants de colère.
logo du CRISCO logo de l'université