Métrique en Ligne
FRK_2/FRK4
corpus Pamela Puntel
Félix FRANK
CHANTS DE COLÈRE
1871
L’EMPIRE
L’HOMME DES RASTELLS
« Dans les rastells, on boit, on mange, et puis l’on danse… les élections sont devenues des noces de Gamache. » (Discours de M. Jules Simon au Corps législatif sur l’élection de M. Justin Durand, candidat officiel.)
— Séance du 7 décembre 1869)
Discours de M. Emmanuel Arago : « Ordonnez une enquête parlementaire, vous rassurez le département… Mais si, après les spectacles qui s’y sont produits ; si, lorsqu’on a vu le maire, à la tête de ses hommes ivres, sortant des rastells avec son écharpe en sautoir, hurlant et vomissant ces injures… (Interruptions) ; si, après ce que j’ai vu, moi : des hommes, des femmes, des enfants, se traînant dans le ruisseau et criant : Vive celui qui paye ! si, après qu’on a vu l’intimidation s’exercer par ordre du préfet… ; si, après tout cela, l’élection de M. Durand est purement et simplement validée comme une élection pure et nette, je vous le déclare, votre décision portera la stupeur (Bruit), le découragement, le désespoir moral, dans tous les cœurs honnêtes. (Vive approbation et applaudissements à gauche. —Réclamations.) —L’enquête est rejetée. L’élection est validée.
I
Jadis, César, vautré sur la pourpre romaine, 12
Entouré de valets et de centurions, 12
En lançant dans le Cirque un tas de chair humaine, 12
Criait, de son trône : « Aux lions !» 8
5 Plus tard, quand, poursuivant sa chimère insensée, 12
Un pape suscitait quelque royal boucher, 12
Afin qu’il torturât l’immortelle Pensée, 12
Les prêtres criaient : « Au bûcher !» 8
Casqués, mitrés, hautains sous leurs habits sinistres, 12
10 C’est ainsi qu’ils trônaient… au-dessus du remords ! 12
— Un Corse vint enfin, César dont les ministres 12
Furent la mitraille et la mort. 8
Comme un arbre géant que la foudre enveloppe, 12
Le monde, secoué par ses coups furieux, 12
15 Sembla près de craquer sous l’assaut, et l’Europe 12
Mit ce Titan au rang des Dieux ! 8
Mais toi, sur qui jaillit l’écume de sa gloire, 12
Quand ta main, dans la nuit, lâchement nous blessa, 12
Tu n’as su que jeter, du fond de ta victoire, 12
20 Ce cri lugubre : « A Lambessa !» 8
Et lorsque ton empire ébranlé tremble et croule, 12
— Pour que le peuple encor te dresse des autels, 12
Pour qu’il encense encore et que ton pied le foule —, 12
Ta voix morne crie : « Aux rastells !» 8
25 « La Peur est un bon frein, mais la honte est meilleure 12
Largesse ! Au râtelier ! Tu veux me fuir en vain ; 12
Oublie et chante, ô serf ! Gorge.toi pour une heure… 12
Peuple, chante, et soûle ta faim, 8
« Pour supporter le poids du sceptre qui te pousse 12
30 Et le mors redouté qui te tient le front bas ; 12
Si bien que nous tombions d’une même secousse 12
Et que tu n’y survives pas, 8
« Ou que nous avancions d’une allure certaine, 12
Empereur et goujat, vers les mêmes destins, 12
35 Malgré les pleurs de rage impuissante et de haine 12
Roulant dans tes regards éteints !» 8
II
C’est pour avoir cherché le salut de ta race 12
Dans l’avilissement de ce peuple égaré 12
Que tu seras, tyran dont le fouet nous harasse, 12
40 Éternellement abhorré ! 8
La tyrannie est peu, comparée à l’insulte ! 12
Sous d’énormes fardeaux courber un peuple entier : 12
Faire qu’il soit ta chose et qu’il te rende un culte 12
Certes c’est un lâche métier ! 8
45 Mais prétendre, ô pitié ! que ce peuple t’imite, 12
Dans ton épais bourbier plongeant éperdûment… 12
Pour toi, c’est l’infamie insigne et sans limite ; 12
Pour lui, le dernier châtiment ! 8
Sous ses propres mépris qu’il s’affaisse et qu’il gise ! 12
50 Que la sainte Pudeur le flétrisse à jamais ! 12
Et que mon cœur éclate, et que ma voix se brise : 12
Car c’est mon peuple… et je l’aimais ! 8
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