Métrique en Ligne
FRA_2/FRA29
Anatole FRANCE
IDYLLES ET LÉGENDES
1896
Le Refus
Au fond de la chambre élégante 8
Que parfuma son frôlement, 8
Seule, immobile, elle dégante 8
Ses longues mains, indolemment. 8
5 Les globes chauds et mats des lampes 8
Qui luisent dans l'obscurité, 8
Sur son front lisse et sur ses tempes 8
Versent une douce clarté. 8
Le torrent de sa chevelure, 8
10 Où l'eau des diamants reluit, 8
Roule sur sa pâle encolure 8
Et va se perdre dans la nuit. 8
Et ses épaules sortent nues 8
Du noir corsage de velours, 8
15 Comme la lune sort des nues 8
Par les soirs orageux et lourds. 8
Elle croise devant la glace, 8
Avec un tranquille plaisir, 8
Ses bras blancs que l'or fin enlace 8
20 Et qui ne voudraient plus s'ouvrir, 8
Car il lui suffit d'être belle : 8
Ses yeux, comme ceux d'un portrait, 8
Ont une fixité cruelle, 8
Pleine de calme et de secret ; 8
25 Son miroir semble une peinture 8
Que quelque vieux maître amoureux 8
Offrit à la race future, 8
Claire sur un fond ténébreux, 8
Tant la beauté qui s'y reflète 8
30 A d'orgueil et d'apaisement, 8
Tant la somptueuse toilette 8
Endort ses plis docilement, 8
Et tant cette forme savante 8
Paraît d'elle-même aspirer 8
35 A l'immobilité vivante 8
Des choses qui doivent durer. 8
Pendant que cette créature, 8
Rebelle aux destins familiers, 8
Divinise ainsi la Nature 8
40 De sa chair et de ses colliers, 8
Le miroir lui montre, dans l'ombre, 8
Son amant doucement venu, 8
Au bord de la portière sombre, 8
Offrir son visage connu. 8
45 Elle se retourne sereine, 8
Dans l'amas oblique des plis, 8
Qu'en soulevant la lourde traîne 8
Son talon disperse, assouplis, 8
Darde, sans pitié, sans colère, 8
50 La clarté de ses grands yeux las, 8
Et, d'une voix égale et claire, 8
Dit : « Non ! je ne vous aime pas. » 8
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