Métrique en Ligne
FRA_1/FRA12
Anatole FRANCE
Les poèmes dorés
1873
Le désir
I
Je sais la vanité de tout désir profane. 12
A peine gardons-nous de tes amours défunts, 12
Femme, ce que la fleur qui sur ton sein se fane 12
Y laisse d'âme et de parfums. 8
5 Ils n'ont, les plus beaux bras, que des chaînes d'argile, 12
Indolentes autour du col le plus aimé ; 12
Avant d'être rompu leur doux cercle fragile 12
Ne s'était pas même fermé. 8
Mélancolique nuit des chevelures sombres, 12
10 A quoi bon s'attarder dans ton enivrement, 12
Si, comme dans la mort, nul ne peut sous tes ombres 12
Se plonger éternellement ? 8
Narines qui gonflez vos ailes de colombe, 12
Avec les longs dédains d'une belle fierté, 12
15 Pour la dernière fois, à l'odeur de la tombe, 12
Vous aurez déjà palpité. 8
Lèvres, vivantes fleurs, nobles roses sanglantes, 12
Vous épanouissant lorsque nous vous baisons, 12
Quelques feux de cristal en quelques nuits brûlantes 12
20 Sèchent vos brèves floraisons. 8
Où tend le vain effort de deux bouches unies ? 12
Le plus long des baisers trompe notre dessein ; 12
Et comment appuyer nos langueurs infinies 12
Sur la fragilité d'un sein ? 8
II
25 Mais la vague beauté des regards, d'où vient-elle, 12
Pour nous mettre en passant tant d'espérance au front.? 12
Et pourquoi rêvons-nous de lumière immortelle 12
Devant deux yeux qui s'éteindront. 8
Femme, qui vous donna cette clarté sacrée 12
30 Dont vous avez béni la ferveur de mes yeux ? 12
Et d'où vient qu'en suivant votre trace adorée 12
Je sens un dieu mystérieux 8
III
Oh ! montrez un moment au monde 8
Votre fragilité féconde, 8
35 Et semez fa vie à vos pieds ! 8
Puis passez, formes éphémères; 8
Femmes, puisque vous êtes mères, 8
C'est qu'il convient que vous mouriez. 8
Votre divinité ne dure, 8
40 Douces forces de la Nature, 8
Que ce qu'il faut pour son dessein. 8
La race impérissable et belle, 8
Voilà cette chose immortelle 8
Que l'on rêve sur votre sein ! 8
45 C'est par vous que l'heureuse vie 8
Tour à tour en la chair ravie 8
S'allume, et ne s'éteindra pas. 8
En vous la vie universelle 8
Éclate, et tout homme chancelle, 8
50 Ivre de beauté, sur vos pas. 8
Vivez, mourez, pleines de grâce; 8
Les hommes et les dieux, tout passe 8
Mais la vie existe à jamais. 8
Et toi, forme, parfum, lumière, 8
55 Qui fleuris ma vertu première, 8
Ah! je sais pourquoi je t'aimais! 8
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