Métrique en Ligne
FOU_1/FOU9
Georges FOUREST
LA NÉGRESSE BLONDE
1909
LA SINGESSE
LA SINGESSE
I cannot conceive you to be human creatures
but a sort of species hardly a degree above a
monkey ; who has more diverting tricks than
any of you, is an animal less mischievous and
expensive.
SWIFT (Letter to a very young lady).
Donc voici ! Moi, Poète, en ma haute sagesse 12
Respuant l’Ève à qui le Père succomba 12
J’ai choisi pour l’aimer une jeune singesse 12
Au pays noir dans la forêt de Mayummba. 12
5 Fille des mandrills verts, ô guenuche d’Afrique, 12
Je te proclame ici la reine et la Vénus 12
Quadrumane, et je bous d’une ardeur hystérique 12
Pour les callosités qui bordent ton anus. 12
J’aime ton cul pelé, tes rides, tes bajoues 12
10 Et je proclamerai devant maintes et maints, 12
Devant monsieur Reyer, mordieu ! que tu ne joues 12
Oncques du piano malgré tes quatre mains ; 12
Et comme Salomon pour l’enfant sémitique, 12
La perle d’Issachar offerte au bien-aimé, 12
15 J’entonnerai pour toi l’énamouré cantique, 12
Ô ma tour de David, ô mon jardin fermé… 12
C’était dans la forêt vierge sous les tropiques 12
Où s’ouvre en éventail le palmier chamœrops ; 12
Dans le soir alangui d’effluves priapiques 12
20 Stridait, rauque, le cri des nyctalomerops ; 12
L’heure glissait, nocturne, où gazelles, girafes, 12
Couaggas, éléphants, zèbres, zébus, springbocks 1 12
Vont boire aux zihouas sans verres ni carafes 12
Laissant l’homme pervers s’intoxiquer de bocks ; 12
25 Sous les cactus en feu tout droits comme des cierges 12
Des lianes rampaient (nullement de Pougy) ; 12
Autant que la forêt ma Singesse était vierge ; 12
De son sang virginal l’humus était rougi. 12
Le premier, j’écartai ses lèvres de pucelle 12
30 En un rut triomphal, oublieux de Malthus, 12
Et des parfums salés montaient de son aisselle 12
Et des parfums pleuvaient des larysacanthus ; 12
Elle se redressa, fière de sa blessure, 12
À demi souriante et confuse à demi ; 12
35 Le rugissement fou de notre jouissure 12
Arrachait au repos le chacal endormi. 12
Sept fois je la repris, lascive : son œil jaune 12
Clignottait, langoureux, tour à tour, et mutin ; 12
La Dryade amoureuse aux bras du jeune Faune 12
40 A moins d’amour en fleurs et d’esprit libertin ! 12
Toi, Fille des humains, triste poupée humaine 12
Au ventre plein de son, tondeuse de Samson, 12
Dalila, Bovary, Marneffe ou Celimène, 12
Contemple mon épouse et retiens sa leçon : 12
45 Mon épouse est loyale et très chaste et soumise 12
Et j’adore la voir, aux matins ingénus, 12
Le cœur sans artifice et le corps sans chemise, 12
Au soleil tropical, montrer ses charmes nus ; 12
Elle sait me choisir ignames et goyaves ; 12
50 Lorsque nous cheminons par les sentiers étroits, 12
Ses mains aux doigts velus écartent les agaves, 12
Tel un page attentif marchant devant les rois, 12
Puis dans ma chevelure oublieuse du peigne 12
Avec précaution elle cherche les poux 12
55 Satisfaite pourvu que d’un sourire daigne 12
La payer, une fois, le Seigneur et l’Époux. 12
Si quelque souvenir de souleur morte amasse 12
Des rides sur mon front que l’ennui foudroya, 12
Pour divertir son maître elle fait la grimace, 12
60 Grotesque et fantastique à délecter Goya ! 12
Un étrange rictus tord sa narine bleue, 12
Elle se gratte d’un geste obscène et joli 12
La fesse puis s’accroche aux branches par la queue 12
En bondissant, Footit, Littl-Tich. Hanlon-Lee ! 12
65 Mais soudain la voilà très grave ! Sa mimique 12
Me dicte et je sais lire en ses regards profonds 12
Des vocables muets au sens métaphysique 12
Je comprends son langage et nous philosophons : 12
Elle croit en un Dieu par qui le soleil brille 12
70 Qui créa l’univers pour le bon chimpanzé 12
Puis dont le Fils-Unique, un jour s’est fait gorille 12
Pour ravir le pécheur à l’enfer embrasé ! 12
Simiesque Iaveh de la forêt immense 12
Ô Zeus omnipotent de l’Animalité, 12
75 Fais germer en ses flancs et croître ma semence, 12
Ouvre son utérus à la maternité 12
Car je veux voir issus de sa vulve féconde 12
Nos enfants libérés d’atavismes humains 12
Aux obroontchoas que la serpe n’émonde 12
80 Jamais en grimaçant grimper à quatre mains !… 12
Et dans l’espoir sacré d’une progéniture 12
Sans lois, sans préjugés, sans rêves décevants 12
Nous offrons notre amour à la grande Nature, 12
Fiers comme les palmiers, libres comme les vents ! ! ! 12
Etc., etc.
(Note de l’Auteur.)
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