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FOU_1/FOU28
Georges FOUREST
LA NÉGRESSE BLONDE
1909
ÉPITRE FALOTE ET TESTAMENTAIRE
POUR RÉGLER L’ORDRE
ET LA MARCHE DE MES FUNÉRAILLES
ÉPITRE FALOTE ET TESTAMENTAIRE
POUR RÉGLER L’ORDRE
ET LA MARCHE DE MES FUNÉRAILLES
Allons donner notre ordre à des Pompes funèbres
À l’égal de son nom, illustres et célèbres.
P. CORNEILLE (Sertorius, acte V, scène VIII.)
Il ne me convient point, barons de Catalogne, 12
lorsque je porterai mon âme à Lucifer, 12
qu’on traite ma dépouille ainsi que la charogne 12
d’un employé de banque ou de chemins de fer ; 12
5 Que mon enterrement soit superbe et farouche, 12
que les bourgeois glaireux bâillent d’étonnement 12
et que Sadi Carnot, ouvrant sa large bouche, 12
se dise : « Nom de Dieu ! le bel enterrement ! 12
I
Le linceul sera simple et cossu : dans la bile 12
10 d’un pédéraste occis par Capeluche vers 12
l’an treize cent soixante, un ouvrier habile 12
a tanné douze peaux de caprimulges verts : 12
pour ôter au cadavre un aspect trop morose 12
premier que me vêtir du suaire teignez 12
15 mes sourcils en bleu ciel et mes cheveux en rose 12
de flammant et dorez mes ongles bien rognés. 12
Ce coffre d’orichalque ocellé de sardoines 12
et doublé de samit qu’autrefois Gengis-Khan 12
offrit à mon aïeul semble des plus idoines 12
20 à recevoir mon corps aimé de Dinican ! 12
Étendez-moi rigide au fond de cette bière, 12
placez entre mes mains nos livres décadents : 12
Laforgue, Maldoror, Rimbaud, Tristan Corbière, 12
mais pas de René Ghil : ça me fout mal aux dents ! 12
II
25 Pour corbillard, je veux un très doré carrosse 12
conduit par un berger Watteau des plus coquets, 12
et que traînent, au lieu d’une poussive rosse, 12
dix cochons peints en verts comme des perroquets ; 12
Celle que j’aimai seul ma négresse ingénue 12
30 qui mange des poulets et des lapins vivants 12
derrière le cercueil, marchera toute nue 12
et ses cheveux huilés parfumeront les vents ; 12
les croque-morts seront vêtus de laticlaves 12
jaunes serin, coiffés d’un immense kolbach 12
35 et trois mille zeibecks pris entre mes esclaves 12
suivront le char jouant des polkas d’Offenbach ; 12
vous, sur des hircocerfs, des zèbres, des girafes 12
juchés et clamitant des vers facétieux, 12
vous cavalcaderez munis de deux carafes 12
40 d’onyx pour recueillir le pipi de vos yeux, 12
tandis que méprisant ta faune, ô Lacépède, 12
drapé dans une peau de caméléopard 12
mon vieux compaing Deibler, sur un vélocipède, 12
braillera la Revue et le Chant du départ ! 12
III
45 Dans un temple phallique atramenté de moire, 12
MONSIEUR DOCRE, chanoine et prêtre habituel 12
des Sabats, voudra bien chanter la MESSE NOIRE 12
évoquant Belphégor d’après son rituel. 12
IV
Ce gâteau de Savoie ayant Hugo pour fève, 12
50 le Panthéon classique est un morne tombeau ; 12
pour mol j’aimerais mieux (que le Dyable m’enlève !) 12
le gésier d’un vautour ou celui d’un corbeau ! 12
Puisque j’ai convomi la société fausse 12
où les fiers et les forts ne sont que réprouvés, 12
55 Monsieur le fossoyeur, vous creuserez ma fosse 12
parmi les assassins, dans le Champ-des-Navets ! 12
Ni croix, ni monument : sous la Lune hagarde 12
je sortirai parfois, la nuit, pareil aux loups- 12
garous et les bourgeois diront : « Que Dieu nous garde ! » 12
60 quand surgira mon spectre, à l’heure des filous !… 12
L’épitaphe ? Barons, laissez la rhétorique 12
funèbre aux bonnetiers ! Sur ma pierre, par la 12
barbe Mahom ! gravez en lettres rouge brique 12
ces quatre alexandrins où tout mon cœur parla : 12
65 « Ci-gît Georges Fourest ; il portait la royale 12
« tel autrefois Armand Duplessis-Richelieu , 12
« sa moustache était fine et son âme loyale ! 12
« Oncques il ne craignit la vérole ni Dieu !… » 12
Et pour épastrouiller la tourbe scélérate, 12
70 s’il vous faut exalter en moi quelque vertu, 12
narrez que j’exécrais le pleutre démocrate 12
et que le bout de mes souliers était pointu ! 12
Et tout sera parfait ! Et moi, dans la géhenne, 12
grinçant et debout sur les brasiers tisonnés, 12
75 je hurlerai tel cri de blasphème et de haine 12
que je terrifierai le DYABLE et ses damnés ! ! ! 12
Or, j’ai scellé ce pli des sept sceaux d’Aquitaine, 12
Moi, neveu d’Astaroth , maudit par Jésus-Christ ! 12
Et pour être compris même de monsieur Taine, 12
80 je m’exprime en vulgaire et non point en sanscrit ! 12
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