Métrique en Ligne
FER_1/FER13
Albert FERLAND
MÉLODIES POÉTIQUES
1893
FANTAISIES
L'AÏEUL ET L'ENFANT
« Couche-toi, mon enfant ! C'est l'heure où la nuit sombre 12
Voit la chauve-souris tournoyer dans son ombre, 12
Comme un pâle lambeau dans le sein des remous. 12
Au fond de la forêt et sur le noir rivage, 12
5 D'avides chats-huants mêlent leur voix sauvage 12
Aux formidables cris des lugubres hiboux. 12
« Les corbeaux croassent au milieu des ténèbres, 12
Où leurs chants sont redits par mille échos funèbres, 12
Répandent dans les bois l'épouvante et l'horreur. 12
10 À leur sinistre aspect, croyant que leur plumage 12
De l'ombre de la mort est l'effroyable image, 12
Les passants effarés frissonnent de terreur. 12
« Un vert livide au front, drapés dans leur suaire, 12
Les morts, sous les cyprès de l'obscur cimetière, 12
15 Poursuivent, l'œil hagard, un joyeux feu-follet, 12
Qui sortit d'une tombe en emportant leurs âmes 12
Dans les plis lumineux de sa robe de flammes, 12
Dont l'éclat sur les eaux brode un léger reflet. 12
« Des sylphes, des lutins, des goules, des fantômes 12
20 Suivis par les follets, les ondines, les gnomes, 12
Vont gaîment explorer les gouffres de l'enfer. 12
Le démon qui les guide est un dragon horrible ; 12
Son regard est farouche et sa voix est terrible ; 12
Il a des pieds fourchus armés d'ongles de fer. 12
25 « Les loups-garous velus sur les monts, dans la plaine, 12
Passent, vagues aux yeux, comme une ombre incertaine, 12
Et le gai farfadet danse au bord des marais, 12
Le griffon plane au loin en gobant les étoiles 12
Qu'on voit tomber du ciel à travers les noirs voiles, 12
30 Qui cachent les splendeurs des ombreuses forêts. 12
« Les esprits tapageurs que Lucifer rassemble, 12
A sa voix, vont bientôt danser, hurler ensemble, 12
En tournoyant autour d'un immense chaudron, 12
Où bouillonne à grand bruit un horrible mélange 12
35 De venin de crapauds, de bitume, de fange, 12
De lave de volcan et de sang de dragon. 12
« Oh ! si dans leur fureur les loups de la montagne, 12
Qui, les yeux flamboyants, parcourent la campagne, 12
Venaient de ton sang pur rougir leurs longues dents ! 12
40 Si le vampire errant, ce monstre fantastique, 12
Qui naquit dans le sein de quelque tombe antique, 12
T'emportait dans la fosse où résonnent ses chants ! 12
« Mon enfant, va dormir, écoute ton grand'père ! 12
De peur qu'un noir sorcier n'entre dans la chaumière, 12
45 Afin de rallumer ses grotesques flambeaux, 12
Ou qu'un vieux nécromant, dans sa ronde nocturne, 12
Ne vienne, accompagné de son chien taciturne, 12
Pour te faire priser la poudre des tombeaux. » 12
Comme il disait ces mots, sous l'effort de l'orage, 12
50 Qui dans la nuit grondait, rugissait, faisait rage, 12
L'aïeul vit sur ses gonds le contrevent frémir ; 12
Et le petit enfant qu'envahissait la crainte, 12
De quelque revenant croyant ouïr la plainte, 12
S'enfuit, pâle, éperdu, vers son lit pour dormir. 12
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