Métrique en Ligne
EST_1/EST2
corpus Pamela Puntel
Hector L'ESTRAZ
POÉSIES
1871
1871
Dans les guérets féconds où les futures gerbes 12
Offraient leur espérance en verdoyants épis, 12
Dans les prés où les fleurs vermeilles dans les herbes 12
Faisaient aux amoureux de splendides tapis, 12
5 Dans les bosquets ombreux emplis de frais murmures, 12
Dans les sentiers secrets où l'on va deux à deux, 12
Dans ces riants massifs dont les vertes ramures 12
Ouïrent tant de mots d'amour et tant d'aveux, 12
Dans ces vallons aimés, pleins de joie et de vie, 12
10 Où la fauvette avait son nid dans les buissons, 12
Où l'on sentait son âme enivrée et ravie 12
Des rayons du printemps, du rire et des chansons, 12
Tout est ruine et deuil !— L'ouragan des batailles 12
A balayé les fleurs dans ses noirs tourbillons 12
15 Les arbres sont hachés de profondes entailles, 12
La plaine a sur ses flancs de lugubres sillons. 12
La colère de l'homme implacable et fatale 12
Ici s'est déchaînée en tempête de feu, 12
Dans son sauvage effet mille fois plus brutale 12
20 Que la foudre éclatante entre les mains de Dieu. 12
La guerre a passé là. — Tout est mort ! — Il ne reste 12
Que des débris ! — Où sont les espoirs décevants ?… 12
La guerre a passé là ! couchant d'un coup funeste 12
Sa sanglante moisson d'hommes, épis vivants. 12
25 — Et dans la plaine, va, pareille à quelque aïeule 12
Évoquant du passé les bonheurs fugitifs, 12
D'un pas désespéré, la pauvre femme, seule, 12
Seule avec les bébés effarés et pensifs. 12
D'un œil sombre cherchant l'absent dont son Cœur rêve, 12
30 Elle s'en va traînant et sa vie et son deuil. 12
Pour elle, le soleil qui dans les cieux se lève, 12
C'est la lampe de mort brûlant près d'un cercueil. 12
Elle soupire : « Hélas, déchirement des âmes ! 12
» Ces lieux riants et doux sont désolés, — oh ! voi, 12
35 » Dans ces bois, dans ces prés jadis nous nous aimames, 12
» O mon cher endormi, vois ! j'y reviens sans toi. 12
» Pourquoi n'es-tu pas là, toi que toujours je pleure ; 12
» Pourquoi donc nous quitter, toi que j'attends toujours, 12
» Pourquoi t'en être allé si longtemps avant l'heure, 12
40 » Pourquoi donc en leur fleur briser tous nos amours ? 12
» Ne t'en souvient-il plus que j'étais ton idole, 12
» Et toi mon cher soutien ? — Pourquoi n'es-tu plus là ? 12
» Oh ! dis-moi, — que mon cœur avec mon âme y vole, 12
» Dis-le moi le pays où la mort t'exila !… » 12
45 — Puis, morne, contemplant les bébés qu'elle adore : 12
« Souvenirs les plus chers de l'amour effacé, 12
» Pauvres anges, croissez ! vous sourirez encore 12
» Vous, vivez d'avenir ! — moi je vis du passé. 12
» Vos yeux où mes baisers vont essuyer vos larmes 12
50 » Auront bientôt brillé, bientôt auront souri, 12
» La vie aura pour vous son bonheur et ses charmes, 12
» Mais pour moi le bonheur en sa source est tari. 12
» Vos yeux pourront encor, heureux, pleins de lumière, 12
» Se lever vers le ciel ; — moi, je n'ai qu'à gémir 12
55 » En contemplant la terre, espérance dernière 12
» Où près du trépassé je voudrais m'endormir. » 12
— Et dans la plaine, va, pareille à quelque aïeule 12
Évoquant du passé les bonheurs fugitifs 12
D'un pas désespéré, la pauvre femme, seule, 12
60 Seule avec les bébés effarés et pensifs. 12
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