Métrique en Ligne
DUC_3/DUC99
Alexandre DUCROS
Les Étrivières
1867-1885
Deuxième Partie
(1870-1871)
Il s'est rendu !!!
C'est le comble ! — Il devait finir ainsi, cet homme. 12
Nous tous, naïfs, nous avions dit : 8
— « Il se fera tuer. — C'est un gueux, mais en somme, 12
La bravoure plaît au bandit. 8
5 C'est une occasion, il forcera l'Histoire, 12
A tenir compte de sort nom ; 8
Il enveloppera d'un suaire de gloire 12
Les crimes de Napoléon. 8
Il se fera tuer, sans doute. — Cette chance 12
10 Nous révolte ? il la saisira. 8
C'est un moyen pour lui d'éviter la potence ; 12
Le parjure en héros mourra. 8
Le bonheur jusqu'au bout suivra ce pleutre auguste, 12
Ce César que l'on eut pendu, 8
15 Il mourra bravement ! — Ah ! le ciel n'est pas juste… » 12
Le ciel est juste ; — il s'est rendu ! 8
L'autre César qui dort sous le glorieux dôme, 12
L'oncle de ce lâche vantard 8
S'est levé dans sa nuit pour crier à Guillaume ; 12
20 — « Sire, souffletez ce bâtard. 8
Ce n'est pas mon neveu, c'est un escroc, un drôle, 12
Sous sa pourpre regardez bien, 8
Il doit être marqué d'un fer rouge à l'épaule, 12
Sire, son sang n'est pas le mien. 8
25 Ce n'est pas mon neveu ! » « — Si, grand homme ! — ce fourbe, 12
Qui des serments se fit un jeu. 8
Qui prit pour arriver, la ligne sombre et courbe, 12
O Géant, c'est bien ton neveu ! 8
C'est bien comme l'a dit le poète sublime, (1) 12
30 Avec l'ïambe au vers hautain, 8
Le juste châtiment, ô Corse ! de ton crime, 12
C'est la Vendetta du destin ! 8
Fils de la liberté tu bâillonnas ta mère, 12
Et nouveau Néron détesté, 8
35 Tu plantas le couteau de ton Dix-huit Brumaire, 12
Dans les flancs qui t'avaient porté. 8
Et tu partis alors, superbe faucheur d'hommes, 12
En tes rêves inassouvis, 8
Faire, au bruit des clairons, ta moisson de royaumes, 12
40 Pour tes lieutenants éblouis ! 8
Les peuples frémissaient, les rois courbaient la tête, 12
Tu disais : — « Le monde est à moi ! 8
Je déchaîne ou j'apaise à mon gré la tempête ; 12
L'univers subira ma loi ! 8
45 Mon Aigle d'un coup d'aile escalade la cime, 12
Où nul encore n'atteignit, 8
Dans des flots de splendeurs il va noyer mon crime, 12
L'homme n'est plus ; le Dieu surgit ! » 8
Tu disais tout cela ? — Mais regarde… regarde, 12
50 Pour faire trébucher le dieu, 8
Cette main qui filoute et cet œil qui moucharde, 12
Regarde bien ; c'est ton neveu ! 8
Il rampe où tu marchais ; où tu montais, il grimpe. 12
Tu pâlis ? — Oh ! ce n'est pas tout ; 8
55 Il s'accroche à ta gloire immense et de l'Olympe, 12
La précipite dans l'égout ! 8
L'héritage sublime est comme une défroque 12
Qu'on revend eux impurs bazars ; 8
La pourpre impériale est une immonde loque, 12
60 Dont s'ébaudissent les Césars ; 8
Le glaive d'Austerlitz, fulgurant d'étincelles, 12
Où, phalènes d'or aux abois, 8
Les vieilles royautés venaient brûler leurs ailes, 12
Se transforme en sabre de bois ! 8
65 Et, comme s'il était trop lourd pour sa main vile, 12
En face du monde étonné, 8
Il le dépose aux pieds d'un teuton imbécile, 12
D'un vieil ivrogne couronné ! 8
Qu'en dis-tu ? penses-tu que ta gloire superbe 12
70 Y résiste, Empereur premier ? 8
Tu pris soin de former ton héroïque gerbe ; 12
Après la gerbe, le fumier ! 8
Donc, tu n'es pas absous ; le dieu redevient homme, 12
Dans cet ignoble désarroi ; 8
75 Ta gloire disparaît, elle est moins qu'un fantôme, 12
Ton crime seul reste avec toi ! 8
Oh ! honte ! — il s'est rendu ! — Mais la France demeure ! 12
Et du gouffre sombre, béant, 8
Où son bras la poussait, préservée à cette heure, 12
80 Elle jette un cri de géant ; 8
Elle appelle ses fils, sainte mère jalouse, 12
De leur antique fierté, 8
Elle appelle ses fils comme en Quatre-vingt-douze, 12
L'an de gloire et de liberté ! 8
85 Et ses fils sont debouts, prêts à mourir pour elle ; 12
Il est de fécondants trépas ! 8
L'ange de la patrie a touché de son aile, 12
Des fronts qui ne pâliront pas ! 8
O Guillaume, entends-tu sur la place publique, 12
90 Ces cris, effroi de tes Prussiens ?… 8
— « L'Empereur s'est rendu ?… — Vive la République ! » 12
Et nous : — Aux armes ! citoyens ! 8
Victor Hugo, — Les Châtiments.
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