Métrique en Ligne
DUC_3/DUC105
Alexandre DUCROS
Les Étrivières
1867-1885
Troisième partie
(1871-1885)
Les morts protestent
L'âpre bise soufflait à travers les bois nus, 12
Et, des entrailles de la terre, 8
De longs gémissements, effroyable mystère, 12
S'élevaient lentement mornes et continus. 12
5 Des morts parlaient entre eux sous la neige durcie, 12
Et de leur bouche blême où le ver est entré 12
Il s'élevait un chant comme une litanie, 12
Un lugubre Miserere ! 8
VOIX DE DESSOUS TERRE
« Je n'entends plus le bruit des armes, 8
10 Et cependant tous les chemins, 8
Sont-couverts de soldats germains 8
O désespoir ! ô deuil ! ô larmes ! 8
Par l'ennemi nos chemins sont souillés ; 10
De notre sang la terre est rouge ! 8
15 On peut combattre encore et personne ne bouge… 12
Déjà les morts sont oubliés ! » 8
UNE VOIX
J'avais une femme, un enfant, 8
Mais pour défendre la Patrie, 8
Je pris les armes et mon sang 8
20 Coula pour toi, France chérie ! 8
A mon fils si doux et si beau, 8
Le deuil met une robe neuve !… 8
Entre ma fosse et son berceau, 8
Ma jeune femme reste veuve ! 8
TOUTES LES VOIX
25 Par l'ennemi nos chemins sont souillés ; 10
De notre sang la terre est rouge ! 8
On peut combattre encore et personne ne bouge… 12
Déjà les morts sont oubliés ! 8
VOIX D'ENFANTS
Nos pères, là-bas, se battaient ; 8
30 Ils se battaient pour la Patrie ! 8
Nos pauvres mères attendaient 8
L'horrible pain de la Mairie ! (1) 8
Dans l'école où nous allions tous, 8
Nous entendions l'éclat des bombes… 8
35 L'une frappe cinq d'entre nous ; 8
On creusa cinq petites tombes ! (2) 8
TOUTES LES VOIX
Par l'ennemi nos chemins sont souillés ; 10
De notre sang la terre est rouge ! 8
On peut combattre encore et personne ne bouge ! 12
40 Déjà les morts sont oubliés ! 8
UNE AUTRE VOIX
— « Malgré le poids glacé des ans, 8
J'avais, à l'appel de la France, 8
Retrouvé mes jeunes élans, 8
De liberté, de délivrance ! 8
45 Je pouvais goûter le repos… 8
Mais, honte à qui tremble ou se sauve ! 8
Les vautours ont rongé mes os ; 8
Les vents roulent ma tête chauve ! » 8
TOUTES LES VOIX
Par l'ennemi nos chemins sont souillés ! 10
50 De notre sang la terre est rouge !… 8
On peut combattre encore et personne ne bouge 12
Déjà les morts sont oubliés !… 8
LA VOIX DE LA PATRIE
Dormez, martyrs ! dormez, héros ! 8
Vous m'avez donné votre vie ; 8
55 De la pierre de vos tombeaux, 8
Je fais l'autel de la Patrie ! 8
O morts ! C'est là que vos enfants, 8
Quand notre aube luira plus blanche, 8
Jureront d'être triomphants, 8
60 Au jour de la Sainte Revanche ! 8
Dormez en paix ! vous serez réveillés, 10
Le jour où nos mains seront rouges, 8
Du sang de l'Allemand éperdu dans ses bouges !… 12
Les morts ne sont pas oubliés ! 8
On distribuait, avec des bons des Mairies, 300 grammes par jour
et par tête d'un affreux mélange de choses innommées que l'on
disait être du pain ! nos ménagères devaient, pour en avoir,
faire la queue des heures entières devant les boulangeries,
sous les obus et les pieds, dans la neige.
Une bombe prussienne, tombant sur une école du quartier
Montparnasse, tua du même coup cinq garçonnets, — Malgré
le bombardement, les écoles étalent restées ouvertes et les
théâtres jouaient le soir. — O peuple héroïque !
logo du CRISCO logo de l'université